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Dernière publication : « Maîtriser » la langue française (...)

Un extrait de ma publication, paru dans l'ouvrage Bilinguisme et maîtrise de la langue française, sous la dir. de M. Wolf-Fedida, 2016.

« Maîtriser » la langue française ou les achoppements sur la castration symbolique 

« ...cette lalangue dont vous savez que je l'écris en un seul mot pour désigner ce qui est notre affaire à chacun, lalangue dite maternelle, et pas pour rien dite ainsi... »  J. Lacan                                          

      Est-il possible de « maîtriser » la langue française lorsqu’elle n’est pas notre langue maternelle ? Est-ce seulement déjà possible pour celui dont c’est la sienne, de langue maternelle ? Pour le bilingue, la cure doit-elle se faire dans la langue maternelle ou dans une langue qu’il ne « maîtrise » qu’approximativement ?

Maîtriser, voilà un terme qui ne colle pas trop avec celui de la castration, notion chère à la psychanalyse.

Dans ma pratique libérale, je reçois régulièrement des patients ou psychanalysants étrangers bilingues, qui viennent consulter en français. Régulièrement, le mot qu’ils veulent dire ne vient pas et se pose alors la question pour moi de savoir s’il en va de la même résistance à dire que pour un patient francophone qui s’exprime en français. Autrement dit, est-il en train de buter sur quelque chose, que le mot qui manque recouvrirait, ou s’agit-il d’un problème de traduction de sa langue maternelle à la langue française ?

Pour éviter ce dernier cas, je demande alors au patient de dire le mot qui lui vient, quand bien même le mot est dans sa langue maternelle. J’effectue cet acte clinique afin de respecter au plus près la règle fondamentale freudienne de l’association libre, à savoir dire tout ce qui vient à l’esprit comme cela vient, et surtout pas ce que l’on veut dire. Je me demande alors si l’effort de traduction qu’effectuent ces patients ne vient pas brouiller les pistes du fait qu’ils doivent choisir, en quelque sorte, le mot pour exprimer leur pensée. J’ai d’ailleurs connu quelques abandons de cure justement du fait que le patient souhaitait finalement trouver un psychanalyste avec lequel il serait possible de parler dans sa langue maternelle, ce qui suppose donc un psychanalyste qui parle et comprend la langue en question, avec tout ce que cela pose comme question au niveau transférentiel et qui peut s’avérer, nous le savons grâce à Freud, que prétexte aux résistances, à savoir de vouloir être compris (voire soutenu) par son psychanalyste. Ce n’est bien entendu pas de son ressort et le clinicien ne doit surtout pas céder à cette demande, demande d’amour.

Toutefois, je m’interrogeais également sur le fait que certains patients bilingues m’ont rapporté qu’il n’y avait pas la même valeur affective dans les mots qu’ils peuvent dire dans leur langue maternelle et dans la langue d’usage du pays où ils vivent. Ainsi, il est courant qu’ils se remettent à parler leur langue maternelle au moment de disputes avec le conjoint par exemple, car, selon eux, la colère et l’utilisation de gros mots n’a de poids que dans la langue maternelle. Dans la langue d’usage, nous pourrions dire que le poids des mots n’y est pas. Autre exemple, une patiente française qui est bilingue et professeur d’anglais a plus de facilité à exprimer des mots d’amour en anglais avec un compagnon anglais car elle se sent moins « mise à nue » dans une langue qui n’est pas la sienne. Ainsi, dans certains cas, l’expression de l’affect en langue étrangère paraît plus facile et nous pouvons alors nous demander si cela est à considérer comme une résistance, dans le sens où il se pourrait qu’« adopter les rythmes d’une langue étrangère au détriment, ou non, de l’affect comporte, à l’inverse, une retenue constituant un facteur antirégrédient[1] ».

Comment pourrait-on éclaircir ces enseignements cliniques à la lueur de la psychanalyse ?

Avant toute chose, faisons un bref rappel linguistique. Ferdinand de Saussure nous a permis de saisir un élément fondamental de notre rapport au langage, celui du signe linguistique, qui unit un concept (signifié) et une image acoustique (signifiant). Il nous a également appris à différencier langue, langage, parole, la langue étant le langage moins la parole. La langue est une structure, car déterminée par des lois qui organisent les éléments entre eux.

Le discours, lui, se déploie selon deux types d’opération : métaphorique (similitude) ou métonymique (contiguïté).

Jacques Lacan s’est saisi des avancées saussuriennes et nous a permis de questionner autrement le rapport de l’être au langage. Il se distingue de la théorie saussurienne concernant la délimitation entre signifiant et signifié, qu’il nomme « point de capiton » et qui renvoie à ce pour quoi le signifiant s’associe au signifié dans la chaîne signifiante. Lacan va mettre en lumière la primauté du signifiant, à savoir que c’est lui qui gouverne dans le discours du sujet et, plus encore, que c’est lui qui gouverne le sujet lui-même. Cette primauté du signifiant, d’une importance technique et clinique majeure, renvoie au fait qu’ « un discours en dit toujours plus long qu’il n’escompte en dire, à commencer par le fait qu’il peut signifier tout autre chose que ce qui se trouve immédiatement énoncé[2] ». La suprématie du signifiant est au fondement même de la notion de parlêtre chez Lacan.

Les processus métaphoriques et métonymiques renvoient respectivement à ce que Freud repère comme mécanisme de condensation et déplacement. Ils sont déterminants dans l’avènement des processus inconscients et dans la formation des névroses et psychoses. Dans la névrose, « le signifiant est l’instrument avec lequel s’exprime le signifié disparu [3] ».

La métaphore est une substitution signifiante et nous pouvons lire dans l’œuvre de Jacques Lacan, reprenant la pensée freudienne à la lueur de son hypothèse que « l’inconscient est structuré comme un langage », que le symptôme se construit comme une métaphore, « soit comme une substitution signifiante d’un signifiant nouveau à un signifiant ancien, refoulé. Le signifiant nouveau (le symptôme) entretient un lien de similarité avec le signifiant refoulé qu’il supplante[4] ».

Dans la clinique quotidienne, là est l’extrême difficulté pour le patient car ce nouveau signifiant n’a plus aucun rapport avec le signifiant refoulé et seul le respect de la règle fondamentale de la libre association pourra venir indiquer au sujet la voie vers laquelle se trouve cette vérité sur son désir. Ainsi, le symptôme est toujours en lien direct avec cette vérité refoulée que l’être a tant de mal à apercevoir, reconnaître, assumer. Car ce qui est certain, c’est que l’être, en parlant, se confronte au manque, et donc à la castration symbolique, qu’il s’entête à refuser, notamment grâce à ses symptômes et qu’il se met à souffrir du fait même qu’il veut se croire non manquant. Pourtant, l’aliénation de l’être à l‘ordre symbolique, la perte qu’il a assumer du fait qu’il doive passer par le langage pour se signifier, cette perte-là est la même qu’il s’énonce en langue maternelle ou non. Puisque le mot borde la jouissance, l’être est assujetti à la castration symbolique. Et la « cassure » s’effectue au moment même où le mot est dit, en langue maternelle ou traduit. Sauf à le réduire à un signifié et un seul, le signifiant est intraduisible en tant que tel.

Cette castration symbolique renvoie à la Loi symbolique, celle du langage, puisque « la loi de l'homme est la loi du langage[5] ». Elle fait partie intégrante de la situation œdipienne qui se déroule en trois temps. (...)

 

[1]Bizouard E. « Langue étrangère comme facteur antirégrédient », Revue française de psychanalyse, 2006/3 (Vol. 70), p. 789.

[2] Dor, J. (1985) Introduction à la lecture de Jacques Lacan. L’inconscient structuré comme un langage, Editions Denoël, p. 22.

[3] Ibid., p. 54.

[4] Ibid., p. 81.

[5] Lacan, J. « Fonction et champ de la parole et du langage », dans Ecrits, Paris, Ed. du Seuil, 1999, p270.

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