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Fiche de lecture L’Homme aux rats – Journal d’une analyse

L’Homme aux rats – Journal d’une analyse

(S. Freud)

Contente d’avoir lu cet ouvrage, même si la lecture en elle-même n’était pas franchement enthousiasmante, notamment du fait des nombreuses notes qui alourdissent.

Néanmoins, j’ai trouvé intéressant déjà d’avoir un certain aperçu du travail de notes de Freud, de ses abréviations, de ses réflexions en marge. De voir comment il souligne certains éléments, ceux qui attirent son attention, et ce qu’il théorise. Bref, une pensée en marche ! Concernant la prise de notes, je ne partage vraiment pas son avis d’alors : prendre les notes en cours de séance ne nuit pas au travail du patient (c’était l’argument de Freud) et il me serait bien impossible de les prendre en fin de journée à moins de déformer l’intégralité des dires du patient.

 

Ce journal m’a poussée à aller relire ensuite le cas de l’Homme aux rats et c’était intéressant en effet de voir comment Freud à organiser son propos, il l’a classifié, bref il a théorisé son cas clinique ! À de très nombreuses reprises dans le Journal il est question d’ « omissions » de Freud dans son cas publié. Comment avez-vous entendu cela ? Omission volontaire ou oubli de la part de Freud ?

 

Autre chose que m’a révélée cette lecture, à propos de la construction. C’est un mot qui compte beaucoup pour moi, pour ce qu’il dit à mon sens du résultat d’une psychanalyse mais aussi d’une psychanalyse elle-même. Et pourtant je réalise une bévue ! En parlant avec Marine pour son sujet de thèse, je le dis rapidement, qui la fait travailler de l’interprétation à la construction, j’avais à l’esprit que la construction qu’indiquait Freud dans son article de 1938 (Constructions dans l’analyse) concernait le travail effectué par le psychanalysant lui-même (et non le psychanalyste). Erreur ! Je l’entendais comme nous l’entendons au RPH finalement, c’est oublier que je bénéficie de l’avancée de Amorim qui n’a pas juste repris Freud pour le coup, c’est carrément une autre proposition. Il s’agit bien encore ici, pour Freud, d’une construction (pour ne pas dire un raisonnement) effectué par le clinicien, qui le livre au patient. Je suis très heureuse d’y voir plus clair là-dessus. Ce sont des avancées techniques majeures. Ce journal nous fait état justement, évidemment à cette époque, des nombreuses interventions bavardes de Freud.

 

En reprenant à présent le texte au fur et à mesure, j’ai noté d’abord qu’il était précieux de se rappeler que le cas de l’Homme aux rats est le premier cas ayant suivi la stricte règle de l’association libre, comme le rappelait Rank (p. 10). Freud n’insistait plus pour se focaliser sur la résolution des symptômes un par un mais fit pour la première fois le choix de laisser venir, aléatoirement, ce qui vient à l’esprit du patient (p. 11).

 

  1. 39, je note l’intérêt pour Freud des prénoms, de nommer en général et d’ailleurs, le travail sur le signifiant est clairement là déjà chez Freud. Je pense notamment au mot « rat » qui est largement déplié dans ce cas. C’est facile à entendre dès lors que nous avons le registre symbolique en tête et son importance mais évidemment, c’est facile à l’entendre grâce à Lacan, qui a finalement lui aussi nommé ce que Freud n’avait pas eu encore le temps de formuler. Le travail du signifiant (même si c’est une ébauche) est aussi palpable d’ailleurs dans les efforts de traduction d’une langue à l’autre mais aussi des abréviations de Freud qui viennent souvent prêter à confusion, équivoque, pluralité de sens.

 

Je note aussi les références nombreuses au registre anal, la « volupté anale », Freud ayant encore très peu théorisé sur l’érotisme anal mais quel courage tout de même d’être capable d’entendre, grâce à la symptomatologie (comme quoi c’est bien souvent les symptômes qui nous apprennent) du patient. L’érotisme anal mais aussi tout le lien à l’argent, à la sanction, à la crainte apparaît dans ce cas et nous distinguons un Freud en pleine découverte aussi.

 

À propos de la culpabilité, je note comment Freud dissocie l’affect et la représentation. Lorsque la culpabilité apparaît de façon disproportionné sur un contenu qui ne le vaut pas, lorsqu’il y a « mésalliance entre le contenu de la représentation et l’affect, donc entre le motif du reproche et son ampleur » (p. 67), il est intéressant pour le clinicien de savoir que le nord de cette culpabilité n’est pas là mais ailleurs, dans un contenu latent donc.

Juste après d’ailleurs Freud évoque le fait qu’il décrit à son patient, via les objets antiques qui ornent son bureau, que « l’ensevelissement conditionne la conservation » (p. 69). Je trouve cette formule tout à fait géniale ! C’est tellement ça. Ce qui est refoulé ne peut être perdu finalement, il faut bien que cela passe en mot, donc au conscient, pour qu’enfin cela puisse se perdre. (« Pompéi ne périt que maintenant, depuis sa mise au jour. ») Et rappelons-nous que « le mot est le meurtre de la chose ».

Même si je n’approuve pas la métaphore archéologique freudienne pour l’ensemble de la cure (la cure qui consisterait à révéler un savoir déjà là, en attente d’être déchiffré), à propos tout de même des éléments refoulés, cette analogie est tout à fait fine.

 

  1. 71, je m’arrête sur ceci : Freud évoque le fait que son patient a découvert « un caractère principal de l’inconscient, l’INFANTILE». Cela m’interroge assez spontanément : qu’en est-il de cet infantile après des années de psychanalyse, et après une sortie de psychanalyse ? C’est-à-dire dans le parcours d’une cure et après la traversée du fantasme. Cela met-il fin à cet infantile ? Ou bien l’inconscient reste-t-il infantile ? Est-ce de l’ordre du savoir y faire avec, une fois les refoulements levés, ou d’une résolution définitive ? Je ne m’étais jamais posé la question comme cela finalement, l’infantile, qu’advient-il ? Disparaît-il ou plus humblement, ne fait-il plus irruption, conflit, symptôme ? Et est-ce finalement aussi par rapport à cela que nous avons à entendre ce que les Lacaniens-Milleriens évoquent d’ « identification au symptôme » en fin de cure ?

 

Je ne sais plus à quelle occasion je pensais il y a quelques temps à l’aspect chronologique de l’inconscient, à cette formule selon laquelle l’inconscient ne connaît pas le temps. Je me faisais la réflexion que nos désirs évoluent tout de même avec notre âge. Par exemple, adulte, nous n’avons plus d’attirance sexuelle pour un enfant, alors qu’enfant nous tombions amoureux de nos camarades de notre âge. Bon il y aura toujours ceux qui quitteront leurs femmes pour une jeunette et des pervers qui verront de l’amour dans les yeux d’un enfant. C’est d’ailleurs bien une différence entre perversion et névrose. Néanmoins, il n’y a pas juste l’objet du désir qui change, le désir en lui-même évolue, s’affine, se tempère, s’oriente différemment. Pouvons-nous alors vraiment dire que l’inconscient ne bouge pas, ne grandit pas, ne vieillit pas ? Il est par contre évident de constater la puérilité de certains comportements, réactions, façons de vivre de certains adultes (majeurs dirait Amorim), ou bien même dans la symptomatologie de ceux que nous recevons. Et même, je pense à la réunion de sortie de cure de Julien qui en témoignait aussi largement, dans les réactions des uns et des autres, dans les dires aussi de Julien où je crois, à certains moment, nous questionnions l’infantile qui transparaissait au moment même d’un témoignage de sortie de cure… L’infantile est partout. Qui a traversé une psychanalyse sait à quel point il aura eu à s’en déprendre. Mais celui qui a traversé sa psychanalyse peut-il vraiment affirmer que cela est terminé à jamais ? Ou cela n’est-il pas plutôt que la castration que rencontre le Moi dans la cure produit une possibilité de faire autrement, un « ça ne m’intéresse plus » en quelque sorte, bref, que la libido circule autrement. Comment finalement pourrions-nous articuler cela métapsychologiquement ? Que la libido circule autrement c’est assez évident, mais cette libido, reste-t-elle infantile ou change-t-elle elle aussi ? Bref, qu’est-ce qui reste et qu’est-ce qui change après une psychanalyse ? Je trouve que c’est une vraie question théorique déjà mais surtout psychanalytique et cela a une incidence sur la vision même de notre travail et de notre formation.

 

  1. 79 je note que l’ « amour immense est la condition du refoulement de la haine ». Évidemment.

 

Replonger dans un des premiers textes freudiens m’aura éveillé des questions fondamentales – qui n’attendaient que de se formuler à vrai dire – et une mise au point précieuse concernant la construction. Merci pour cette lecture.

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