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Fiche de lecture : J.C Maleval "La forclusion du Nom-du-Père"

 
La forclusion du Nom-du-Père
J.C Maleval
 
 
Quelle richesse que cet ouvrage ! Je fus ravie de le découvrir et d’en apprécier le travail colossal effectué sur ce concept de la forclusion du Nom-du-Père. J.C Maleval articule finement la revue de littérature, les élaborations et articulations théoriques dans leur chronologie, le tout illustré par la clinique. Formidable ! Ce travail m’a vraiment fait l’effet d’une thèse tant le travail publié est dense. Et clairement, je me suis dit « là, il y a psychanalyste ! ».
 
Que ce soit par l’écriture plutôt claire et accessible que par le déroulé historique qu’il effectue, Maleval nous éclaire grandement sur ce concept fondamental afin de saisir ce qui se joue de spécifique dans la psychose, d’un point de vue théorique mais aussi quant à la conduite des cures.
Dès l’introduction, l’auteur suggère que les entretiens préliminaires sont déterminants pour distinguer les patients psychotiques des névrosés, enjeu majeur selon lui dont dépend la conduite de la cure. Nous savons par notre expérience que ce n’est pas chose aisée ; le diagnostic peut tomber bien longtemps après ces premiers entretiens.
 
J’ai particulièrement apprécié l’effort de Maleval de reprendre toute la chronologie de la naissance du concept de la forclusion du NDP, introduit par Lacan en 1957 donc, que Maleval articule directement aux conséquences sur « l’économie de la jouissance » (p. 10) qu’il détaillera largement dans cet ouvrage. Et de rappeler que Lacan a puisé la dynamique de sa recherche dans les impasses de la psychiatrie de l’époque.
 
Concernant le déclenchement de la psychose, je note la formulation éclairante suivante : « Qu’un bouleversement se produise avec fréquence à l’occasion de la rencontre d’un Père, situé en tiers dans un couple imaginaire, incite à concevoir que la mise en jeu du signifiant paternel, en révélant ce que le sujet n’a pas symbolisé, déchaîne le signifiant et contraint à le réorganiser dans son ensemble. Toutefois, les éléments biographiques mis au jour concernant Schreber le montrent clairement, de telles circonstances ne déclenchent pas inéluctablement les troubles : il y faut d’autres conditions. Il semble qu’elles soient à chercher dans une conjonction, faite d’une mauvaise rencontre avec l’incomplétude de l’Autre, et d’une défaillance de ce qui permettrait au sujet de voiler le vide de la forclusion, pour l’essentiel identifications imaginaires ou suppléances » (p. 17). Et d’ajouter (ou plutôt de rappeler l’adage freudien) que le délire constitue une manière « de remédier à des confrontations au réel ».
 
Après avoir notifié le fait que la clinique invalide hypothèse freudienne selon laquelle le psychotique ne serait pas apte au transfert, l’introduction se termine sur cette note d’espérance : « la position du sujet psychotique peut se modifier et s’élaborer tout autant que celle du sujet névrosé » (p. 23).
 
Partie théorique
 
L’auteur nous rappelle ensuite, d’après le texte de Lacan « Propos sur la causalité psychique » un lien qui m’avait échappé entre la paranoïa et le stade du miroir selon lequel il est question d’une « stase de l’être dans une identification idéale », soit une « confusion mortifère entre « le Moi et l’être du sujet » » (p. 27). Il nous rappelle également l’importance soulignée par Lacan d’une « schize du sujet, enraciné dans une aliénation du moi au miroir de l’Autre, pour qu’advienne une humanisation du désir » ». Maleval rejoint ici l’enseignement final de Lacan sur l’importance de la coupure. La Spaltung de l’être vient lui révéler sa double aliénation : aliénation imaginaire et aliénation à l’ordre symbolique.
Maleval nous rappelle l’intuition et l’effort de Freud de distinguer le refoulement de ce qui se produit dans la psychose mais la confusion reste entre Verleugnung (déni) et Verwerfung (rejet). Cette tentative de formuler la « mise à distance d’une réalité intolérable » reste insuffisante dans l’œuvre freudienne. Articulant la forclusion et le refoulement originaire, Maleval précise les deux formes de dénégations (Verneinung) à l’œuvre : celle tardive, « au service du refoulement et des méconnaissances du moi » ; celle « inhérente à la Bejahung primaire qui instaure le refoulement originaire et participe à la structuration du sujet ». C’est à partir de cette dénégation-là (« rejet fondateur ») que la forclusion trouve ses origines (p. 48). À partie du cas Aimée, Lacan relève alors dans la psychose une « carence du refoulement originaire qui confine les phénomènes élémentaires hors du champ symbolique » (p. 51). Telle est la première spécificité psychotique théorisée par Lacan avant que le rejet soit spécifiquement rapporté au Nom-du-Père. Maleval souligne ensuite la confusion entre la Verwerfung et la forclusion, toute-deux désignant le rejet d’un signifiant primordial. L’auteur ose alors la question : « ne serait-on pas en droit de supposer que c’est la carence du rejet du signifiant primordial qui devrait être génératrice de la psychose ? » (p. 57). Lacan avançant la thèse selon laquelle la loi de l’homme est celle du langage, impliquant l’interdit de l’inceste, la castration et la perte irrécupérable fondatrice du désir, cette loi exige une « séparation du sujet à l’égard de l’objet de sa satisfaction initiale » ; le refoulement originaire porte ainsi sur un « signifiant primordial propre à représenter la chose perdue » (p. 58) et donc, concerne tout un chacun. La Verwerfung se distingue de l’expulsion primaire du fait des signifiants spécifiques sur lesquelles elle porte. Elle suppose le manque d’un signifiant primordial, « soutien de l’armature symbolique » (p. 60). L’exemple du tabouret à trois pieds aide à saisir la nuance. Ce signifiant spécifique, c’est celui du père symbolique que Lacan définit comme « signifiant de l’Autre en tant que lieu de la loi » (p. 63).
 
Maleval revient ensuite sur la conséquence évidente de la forclusion du NDP : il n’y a aucun effet de métaphore, aucune substitution, au signifiant du désir de la mère. C’est pourtant bien la fonction paternelle qui érige une barrière à la jouissance du rapport mère-enfant. Le signifiant phallique n’opère pas et ainsi, le désir de l’Autre peut apparaitre « comme volonté de jouissance sans limite ». Maleval n’aura de cesse dans cet ouvrage d’illustrer la spécificité du psychotique comme confronté en permanence au danger d’un grand Autre jouisseur, aux prises avec une jouissance délocalisée (« inaptitude de sujet à localiser la jouissance par le signifiant, impliquant une difficulté à pacifier celle-ci » (p. 119)).
 
Plus loin, Maleval précise bien l’apport lacanien selon lequel la béance de l’Autre est structurelle mais le psychotique « ne dispose pas de la réponse phallique » et cette béance ne lui est pas supportable (p. 103). C’est bien l’appel au NDP, exigé par « le trou dans l’Autre » qui est défaillant pour le psychotique. Maleval évoque même deux forclusions, celle inhérente à ce trou dans l’Autre et celle du psychotique « caractérisée par la non-fonction du signifiant exclu » (p. 104). Ainsi, Maleval nous indique qu’à partir de années 60, la forclusion est appréhendée « non plus comme le rejet d’un signifiant primordial mais comme la rupture d’un nouage entre la chaine signifiante et ce qui du dehors soutient son ordonnance » (p. 104). Je m’étais pour ma part, il y a peu de temps, arrêtée à cette première conception de la forclusion qui en effet n’a pas le mérite de se distinguer du trou dans l’Autre structurel (pas d’Autre de l’Autre) et qui nous concerne tous.
 
Reprenant ensuite les avancées lacaniennes sur l’objet a, je suis surprise que ce que nous considérons comme objet cause du désir soit ici défini aussi comme « objet primordial de la jouissance, élaboré sur les traces de l’objet perdu freudien, dont seule la séparation enclenche la dialectique du désir, orientée par son impossible retrouvaille » (p. 106). La jouissance et le désir me paraissant incompatibles, disjoints, c’est étonnant de le lire de cette façon et pourtant, l’impossible retrouvaille implique néanmoins le manque, et donc le désir, ce qu’il formule plus loin comme « assume la perte primordiale de jouissance » (p.107). Comme si donc la jouissance avait eu lieu ? Entendez-vous de la même façon « objet de jouissance » et « objet dont on aimerait jouir » ? Le premier me semble marqué d’une réalité, le second de l’ordre du fantasme (l’objet a me semblait appartenir au second). L’objet a serait alors objet cause du désir et objet de la jouissance… Néanmoins, c’est bien aussi la traversée psychanalytique qui opère cette distinction entre jouissance et désir et la révèle au psychanalysant.
 
Je retiens ceci juste après que l’opération du NDP « met en place le phallus symbolique, signifiant de la jouissance, signifiant de ce qu’il faut faire comme homme ou femme, il instaure le phallus imaginaire qui assure la clôture de la signification » (p. 110).
La métaphore paternelle commande la chute de l’objet a. Si elle n’intervient pas pour opérer cette séparation, « le psychotique reste fondamentalement identifié à un objet de jouissance » (p. 112).
 
Maleval revient plus loin sur la distinction des deux jouissances, la jouissance phallique, à laquelle sont soumis les hommes, et les femmes pas-toutes, celles-ci étant concernées par la jouissance (folle) de l’Autre : celle qui échappe, qui se soustrait, au signifiant phallique. La métaphore paternelle oriente vers la jouissance phallique, portée par le langage. Ainsi, Lfemme n’est pas « étrangère à la fonction phallique, elle y est seulement « pas-toute ».
Voici ce qu’il en est pour le psychotique : « la carence paternelle fait du sujet psychosé une proie livrée à la jouissance d’un Autre déréglé » (p. 132) ; « c’est parce que la fonction symbolique du NDP, instauratrice de la jouissance phallique, s’avère carente, dès lors impuissante à éviter l’angoissante rencontre du jouisseur obscène. » (p. 132)
 
Partie clinique
 
Il n’ y a pas à dire, l’auteur y met du sien pour témoigner de sa clinique, autant dans le fait de rapporter la parole précieuse de patients psychotiques que pour témoigner de son propre désir à lui de psychanalyste (séances tous les jours, appels téléphoniques, accepter une somme modique entres autres) et de la conduite de ses cures. L’étude littéraire des texte et spécificités verbales de psychotiques était très pertinente et intéressante pour illustrer les processus spécifiques à l’œuvre dans cette structure. À nouveau, quelle rigueur dans cet exposé pour décortiquer toute les formes de troubles du langage. Je retiens pour le néologisme notamment une « fonction réparatrice », celle de « suturer la chaine signifiante désarrimée » (p. 184) ; aussi, l’intérêt du psychotique pour « la pure élaboration sur le matériel verbal, peu préoccupée des significations qui éventuellement en résultent. » (p. 201). La jouissance du signifiant et de la lettre nous est éclairée et se soutient de la sonorité du mot, non de ce qu’il désigne ou réprésente. « Il apparaît alors que la carence de la signification phallique, conséquence de la forclusion du NDP, qui suscite le déchainement du signifiant, constitue le phénomène situé au fondement des troubles du langage du psychotique » (p. 216).
Je note aussi : « le point d’arrêt qui permet de décider de la signification est mis en jeu par le signifiant phallique qui représente le sujet et sa jouissance. Quand sa fonction n’intervient plus, en raison de la forclusion du NDP, on assiste à une carence de la rétroaction, de sorte que le sens reste indécis (schizophrénie) ou bien au contraire se fige (paranoïa). Le phallus intervient pour normative le langage du sujet ; il fait barrage à un investissement trop intense d’inventions hors discours » (p. 217).
Plus loin, Maleval écrit que la carence de la signification phallique désigne « une désagrégation du lien qui organise le signifiant en une chaine » (p. 226). Aussi, « c’est au phallus qu’est dévolue la fonction d’opérer ce joint entre signifiants de l’Autre et jouissance du sujet pour donner à celui-ci le sentiment de la vie » (p. 228).
 
Concernant la jouissance dérégulée, Maleval nous rappelle justement que le langage est conçu par Lacan comme « l’appareil de la jouissance ». Et « quand la représentation phallique de la jouissance fait défaut, le sujet court le risque d’être porté à s’appréhender comme objet de la jouissance de l’Autre, en s’identifiant à l’objet a, déchet du langage » (p. 234).
Et Maleval de nous rappeler aussi la formule lacanienne selon laquelle le psychotique a l’objet a « dans sa poche », ce qui est assez parlant concernant la voix et le regard. Il affine cela en parlant d’extraction de l’objet a (je n’avais jamais entendu cette formule) ; parlant du psychotique pour qui « l’objet a n’est pas extrait » (p. 255), l’objet a n’a pas chu de l’holophrase S1-S2.
Par ailleurs, le phallus étant un élément faisant fonctionner la représentation de la perte, il s’entend que la carence de la signification phallique produit alors ce que Freud avait repéré comme le retrait de l’investissement psychique des objets. La perte des objets est en fait « perte de la représentation de la perte » (p. 237). La jouissance n’est ainsi pas chiffrée par le signifiant et tout l’enjeu de la cure avec le psychotique sera de parvenir à border cette jouissance dérégulée. Après la lecture de cet ouvrage et l’explicitation très éclairante que fait Maleval de l’importance de la signification phallique et de sa carence chez le psychotique, je me demande si finalement, la cure du névrosé n’opère pas également sur cette signification phallique ? Certainement pas carente mais insuffisante dans son cas. Ne pourrait-on pas définir l’acte opératoire de la psychanalyse comme une opération sur le signifiant phallique ?
 
Concernant la conduite clinique des cures, Maleval argumente dans le sens de la prudence et souligne les nombreux déclenchements de psychose liés à certaines analyses voire analystes.
Maleval rappelle l’avancée de Lacan qui dépasse le mythe de l’Œdipe en théorisant la sortie de cure en association à la traversée du fantasme fondamental qui lui, est une révélation quant à l’incomplétude de l’Autre. Celle-ci concerne tout le monde, la béance de l’Autre est structurelle et le signifiant NDP permet de donner la réponse phallique nécessaire. Sauf pour le psychotique qui s’y trouve confronté de plein fouet, ce qui produit une figure persécutrice, une jouissance sans limite. Le face à face du psychotique au désir de l’Autre, souvent perçu comme tout-puissant, est source de maintes perturbations.
 
Evoquant l’adolescence comme période charnière de déclenchement de névroses, du fait de la réactualisation du complexe d’ Œdipe, Maleval pose la question pour le psychotique de ce qui se joue pour lui concernant son rapport à la barrière de l’inceste. Les débuts de théorisation de Lacan vont dans le sens du non-établissement, pour le psychotique, de cet interdit et donc d’un Œdipe en échec et cette thèse ne variera pas. Ainsi, « on conçoit que l’appel pubertaire à la jouissance soit particulièrement propice à révéler si la régulation de celle-ci par la fonction paternelle s’est ou non mise en place. » (p. 284), confirmant alors l’hypothèse de la forclusion du NDP.
 
L’auteur signale aussi des déclenchements de psychose lors de tentative « d’interroger l’Autre du savoir absolu » (une voyante par exemple). Nous comprenons alors aisément pourquoi la cure du psychotique n’ira pas vers la traversée du fantasme fondamental : le psychotique ne peut se confronter à la béance de l’Autre. Si le psychanalyste, grâce à Lacan, ne doit plus reculer face à la psychose, il doit se garder de « l’ébranlement de ce qui permettait au sujet de parer à la carence de la fonction paternelle » (p. 293) ; « l’ébranlement d’un pare-psychose tend à révéler ce qu’il masquait, à savoir le gouffre de la forclusion, quand l’incomplétude de l’Autre n’est pas rendue supportable par le NDP » (p. 294).
Maleval nous indique les deux modes des stabilisation possibles du psychotique face à cette carence : identifications imaginaires et suppléance. Toutes ont pour fonction, bon an mal an, de cadrer la jouissance.
 
Ce que Maleval nomme « délocalisation de la jouissance », conséquence de la carence paternelle, se caractérise cliniquement par « une angoisse extrême, une position de déchéance, et un sentiment, plus ou moins confus, de mort du sujet » (p. 313). Si la jouissance de l’Autre se trouve « identifiée, c’est-à-dire portée au signifiant », le psychotique retrouve une assise. Néanmoins, dans le délire reviennent des initiatives de l’Autre jouisseur qui viennent tourmenter l’être. Ainsi, « la carence du signifiant paternel se révèle, avec ses conséquences majeures : le déchainement du signifiant et la délocalisation de la jouissance » (p. 314). Maleval décrit les différents moments du délire : P0, une faille central s’ouvre dans le symbolique (trou dans l’imaginaire) = débordement de jouissance ; P1, tentative de parer la faille via un appareil signifiant ; P2, suturation du délire ; P3, métaphore délirante. Le délire apparaît le point culminant du psychotique face au désir de l’Autre dont il s’appréhende comme objet de sa jouissance. J’ai trouvé très percutante la question du mathématicien psychotique J. Nash de ce que serait « la guérison de la psychose qui n’entraînerait pas un déficit des capacités de production et d’invention d’un sujet » (p. 326).
 
Evoquant l’émergence de La femme, Maleval nous rappelle les quatre principaux délire : persécution, érotomanie, jalousie mégalomanie (p. 327). Il souligne aussi la construction psychique sous-jacente au délire de féminisation : « faute de pouvoir être le phallus qui manque à la mère », reste « la solution d’être la femme qui manque aux hommes » (p. 328).
J’ai trouvé très éclairante aussi la distinction entre la jouissance pas-toute phallique (supplémentaire) des femmes – « qui ne cesse pas d’être bordée par la jouissance phallique » (p. 329) et la jouissance du psychotique, sans limite. La femme fait office de figure de jouissance illimitée lorsque l’amarre du Père symbolique fait défaut.
 
L’ouvrage se termine par le transfert du psychotique et « la psychose de transfert », terme que je n’avais jamais entendu non plus. Les deux cas cliniques de l’auteur en témoignent merveilleusement et m’ont donné beaucoup à réfléchir sur centaines difficultés cliniques propres. Cette figure de l’Autre jouisseur que le psychanalyste doit éviter ou en tout cas, s’en dépatouiller, m’a fait relire certaines impasses cliniques dont j’ai été témoin (je rejoins volontiers ce que Maleval nomme « montée de la jouissance sur la scène du transfert p. 450), lorsque le patient désigne sa cure ou son psychothérapeute comme la source de tous ses maux et souffrances. Certaines formulations de Maleval auraient mérité des précisons cliniques, notamment p. 361 : « Puisque le patient sous-transfert prend son analyste pour ce qu’il n’est pas, il faut rectifier ses rapports à la réalité en corrigeant progressivement la méprise ». Oui bien volontiers, mais concrètement ? Il ne s’agit justement pas seulement d’une méprise mais d’une assignation parfois très problématique… La détresse du psychotique face à un Autre jouisseur ne retire en rien sa jouissance à lui d’être objet de jouissance pour l’Autre ! Les données cliniques qui suivent permettent des illustrations de possibilités techniques pour le clinicien.
Une autre formulation encore : contrer la jouissance délocalisée (p. 373), ainsi que quelques précieuses indications cliniques : « ne pas chercher à ramener le sujet à la réalité, de ne insister sur l’observance de la règle de l’association libre, et d’exercer une grande réserve dans la pratique de l’interprétation, en attendant plutôt qu’elle vienne du sujet lui-même » (p. 391). Et de nous rappeler l’importance soulignée par Lacan d’inventer des solutions techniques face aux résistances spécifiques des psychotiques (p. 392). Il est vrai que les indications cliniques et techniques, comme le remarquent Maleval, portent souvent ce qu’il ne faut pas faire et non sur ce qu’il convient de faire. L’auteur nous donne une piste d’« autre centrement » : « orienter la cure du psychotique sur le tempérament de sa jouissance dérégulée » (p. 417). Mais alors, s’ « opposer à » (p. 422) ou « tempérer » (p. 429) la jouissance dérégulée, comment s’y prendre ? Les deux cas cliniques nous donnent quelques éléments de réponses, de ce qui pourrait se faire et de ce qu’il ne faudrait pas faire. Maleval nous fait la générosité de nous exposer ses trouvailles et ses bourdes cliniques (notamment celle de tenter de rassurer le patient, ce qui positionne le clinicien non pas moins mais davantage en position d’Autre jouisseur). Il semble que la présence du psychanalyste fasse parfois l’affaire quant à la régulation d’une jouissance sans limite ainsi que les invitations et désaccord du clinicien lorsque le psychotique s’aventure à se réduire à un objet sacrificiel. Formuler le désaccord à ces moments précis m’a paru pour ma part également tout à fait nécessaire, ou dans d’autres cas formuler un recours à la Police. Après la lecture de cet ouvrage, ces deux façons de faire plutôt intuitives lors de séances difficiles me semblent aujourd’hui aller dans le sens d’un refus de cautionner cette position d’Autre jouisseur (soit de A non barré, comme l’indique Maleval p. 451) et surtout, refuser la position de l’être en tant qu’objet de déchéance. Maleval propose donc de s’installer davantage en position de témoin (citant C. Soler, « ne pas savoir, ne pas jouir » p. 466), de se garder de conforter la relation fusionnelle mortifère, d’intervenir « au moment propice » (p. 455) pour stopper la jouissance dérégulée. Surtout, ne pas s’opposer aux convictions ni insister. Position de témoin mais pas seulement donc, intervenir quant à la jouissance est nécessaire (« orienter la jouissance » p. 466 soit pour la limiter soit pour la conforter dans certains idéaux). C. Soler indique en effet qu’« à défaut de la loi paternelle, il ne subsiste que le signifiant idéal comme élément symbolique propre à faire barrière à la jouissance en excès » (p. 467).
 
Je retiens cette distinction très importante de Maleval : « Faire limite à la jouissance n’est pas spécifique de la cure des psychotiques, celles des névrosés et des pervers s’y emploient aussi, à leur manière, en opérant sur leur interprétation ; ce qui est caractéristique de la cure des psychotiques réside dans la contention de la jouissance de l’Autre » (p. 467). Maleval nous incite d’ailleurs à ne pas confondre la jouissance du sujet et jouissance de l’Autre qui peuvent se disjoindre. Distinction délicate !
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