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Une lecture féminine du masochisme (suite)

Faladé nous indique bien ici que la position masochiste est celle de s’identifier à l’objet alors que la position féminine, castrée, est celle de faire être. Il s’agit donc d’un faire, et non plus d’un être. Cette opération, cette transmutation, qui dégage l’être de la position masochiste, pourra se réaliser seulement si « la castration a été quelque chose d’accepté et de vécu par le sujet »[1]. Cette opération, elle est la conséquence d’une traversée psychanalytique. À la fin de la cure, Faladé nous indique qu’il n’y a plus à y croire à son symptôme, « puisque qu’on trouve ce qui est son être, et le tout c’est de savoir qui pourra l’incarner »[2]. Nous trouvons ici un glissement de l’identification à l’incarnation. C’est une opération majeure, c’est une destitution subjective.

 

Alors, qu’en est-il de la chute de l’objet a à la sortie d’une psychanalyse ? Cette chute a des conséquences évidentes pour la sortie de psychanalyse – il y a un certain « laisser choir » du psychanalysant devenu sujet envers le psychanalyste – mais aussi et surtout envers l’être lui-même. C’est lui qui chute, qui quitte cette position d’objet, aliénée et aliénante. C’est une opération équivalente à celle d’un deuil puisque la chute du semblant d’objet représente la vérité qui fait retour, vérité selon laquelle il n’y a aucun objet pour soi à obtenir et pour l’être à incarner. Il y a cette place vide, et c’est ainsi, seulement, que l’économie désirante peut circuler. La traversée du fantasme a directement à voir avec l’objet a car par son fantasme, « le sujet va se fixer à l’objet a (…) Au moment de la chute du fantasme, il réalise qu’il est cet objet a. C’est la coupure qui fait briller l’objet partiel. »[3]

 

Continuons à entendre Faladé qui évoque le travail d’une psychanalyse et comment ce travail de l’inconscient met au travail le sujet de l’inconscient, de par la position de semblant d’objet a du psychanalyste : « Parce que semblant d’objet, l’analyste fera en sorte que quelque chose cause le sujet, et le cause d’une façon telle qu’effectivement il se met au travail et au travail analytique. »[4]

 

Et de nous rappeler que « le sujet de l’inconscient est toujours un sujet divisé et qu’il n’y a là nullement suture »[5]. Le produit de cette division est l’objet a. Le parcours de la cure, nous dit Faladé, consiste à ce que le signifiant qui aliène le sujet (S1) puisse choir afin qu’il – le sujet – ait une idée de l’objet qui le divise. La chute des S1, jusqu’à épuisement, mettra un terme à ce qui lui masque sa division. Faladé nous alerte alors :

 

« La tentation c’est d’essayer de venir mettre un signifiant de l’analyste en place de ce qui va faire qu’il y aura encore possibilité de masquer cet objet. (…) C’est une chose qui peut arriver, ne plus avoir aucun signifiant qui vienne là masquer pour le sujet ce qu’est son objet, ce qu’est ce reste, ce rebut, c’est une véritable difficulté. Et l’analyste doit y être d’une telle façon que rien ne vienne empêcher la chute de tous ces S1, rien ne vienne empêcher que le sujet puisse saisir ce qu’est l’objet de son être. »[6]

 

Faladé reprend ici l’enseignement lacanien, radicalement opposé à l’identification à l’analyste proposée à l’époque par Michael Balint.

 

L’être découvrira alors, dans la construction de son fantasme, quel est son partenaire : « c’est ce petit »[7]. Ce que Faladé nous indique quant à la nécessité que rien ne vienne masquer ce qu’est cet objet implique la nécessité de se séparer de l’objet, comme nous l’énonce ici Alain Vanier : « L’objet a se distingue suivant les cas d’être ou non phallicisé, c’est-à-dire séparé, et c’est toute la distance du désir à la jouissance. »[8] Il nous rappelle alors que le phallus, à un moment de l’enseignement de Lacan et notamment dans ses formules de la sexuation, « devient fonction phallique, séparatrice, fonction du manque »[9]. La cure ne vient-elle pas opérer justement sur cette inscription du manque, cette disjonction ? La traversée du fantasme lève le voile et implique une disjonction entre S et le a qui permet au sujet de savoir quel est le petit a dont il est le sujet[10]. Car « Le a, c’est ce qui vient couvrir la castration, c’est ce qui, au moment du rien, et peut‑être que, à la fin de l’analyse, c’est ça qui fait dissocier. »[11] Rappelons que le a n’est pas un objet, il indique une place vide. Lorsqu’un objet vient à masquer cette place vide, c’est que la séparation n’a pas encore opéré.

 

Une psychanalysante se trouve prisonnière de cette identification à l’objet cause du désir de l’autre, et cela a des conséquences dans sa vie amoureuse. Pour sa mère, qu’elle qualifie comme un être éteint, sans vie, dépressive, elle s’est assignée à incarner elle-même la cause du désir de sa mère. De la soutenir. De lui « insuffler de la vie ». Et ce depuis bébé et le temps où elle pleurait tellement qu’elle obligeait sa mère à une présence continue, jour et nuit. Mais qui était présente pour qui ? Qui était nécessaire pour qui ?

 

« C’est comme si je nourrissais toujours une insuffisance », dit-elle. Ou encore, « Je cherche tellement à coller à une image que l’autre aurait. Comme si je me mettais dans l’ombre totale. C’est un sentiment d’avoir disparu. Je m’efface. C’est ma seule manière d’exister. »

 

Il ne s’agit pas ici de se faire objet de satisfaction pour l’autre, objet de comblement, objet phallique donc. Il s’agit bien d’une position d’objet cause du désir de l’autre. Dans les deux cas, objet phallique et objet cause du désir, il s’agit tout de même, dans le fantasme, d’être objet de jouissance pour l’autre. Le fantasme est le scénario par excellence où l’être se réduit à une position d’objet.

 

S’effacer pour l’autre, au nom du désir de l’autre ? Ceci n’est pas sans nous rappeler comment Lacan a quelquefois nommé les objets a définis par lui : « les quatre effaçons »[12]. Cela nous nous amène sur le chemin de « la trace » : « Le sujet, ce sont ces façons mêmes par quoi la trace comme empreinte se trouve effacée. »[13]

 

La trace est une marque, une empreinte, laissée par une expérience de satisfaction. Cette marque de jouissance est nécessaire dans la constitution du sujet de l’inconscient. Mais en elle-même, elle est un témoin de ce qui n’est plus. « La distinction du signe et de l’objet est ici très claire, puisque la trace est justement ce que laisse l’objet, parti ailleurs (…) Un objet soustrait – une soustraction de jouissance – c’est ce qui est à la base de la production du sujet. »[14]

 

L’objet a est la conséquence de la division subjective de l’être parlant, c’est‑à‑dire, la perte qu’il a à assumer de s’être constitué sujet, sujet parlant, sujet de l’inconscient. Si ce sujet « se fonde de l’effacement de la trace dans un savoir qui ne reviendra pas »[15], l’objet a est alors une tentative de colmater ce trou dans le savoir, insupportable.

 

« Les traces impliquent le vivant comme un support. Elles ont pour support des noyaux de jouissance. L’objet a est le support de la trace. Il implique ainsi la substance dans la trace. Les traces ne sont donc pas seulement des marques. La trace implique le support qu’est le “a”, qui est à considérer au niveau de sa substance. L’objet a est la substance de l’absence que désigne la trace. »[16]

 

Ce que la psychanalyse nomme chute du semblant d’objet a est la réalisation, par le sujet, de sa division et qu’il n’est nullement objet puisque ce a, c’est là « où le sujet peut retrouver son essence réelle comme manque-à-jouir, et rien de plus. »[17]

 

Cette réalisation, cette assomption côté femme, ne la retrouvons-nous pas dans ce que nous indique Dominique Miller sur ce qu’est une femme ? C’est le troisième et dernier élément de mon articulation de départ et qui résonne, sous forme de témoignage, avec le positionnement féminin possible proposé par Faladé.

 

« Je peux dire qu’une femme devient femme pour un homme. Et que c’est comme ça, ça arrête un peu cet infini de la question de “Comment vais-je être femme ?”, ça arrête un peu, ça pacifie. C’est-à-dire qu’un homme vous fait femme, et qu’à partir de là vous pouvez tout à fait accepter d’être un objet sexuel pour un homme parce que vous êtes sujet dans ce consentement. Et que vous ressentez une jouissance à être, effectivement c’est l’homme qui a ce qu’il faut, il faut bien dire. (…) Les femmes qui veulent être une femme pour un homme, eh bien, un bon nombre consentent à s’abandonner comme on dit. C’est un terme que les femmes détestent parce que ça les objectivise, ça fait d’elles des objets. Mais elles peuvent être des sujets là-dedans et jouer avec ça. »[18]

 

À se mettre en position de LA femme, l’unique, l’exception, la femme n’est pas du côté féminin. C’est toute la logique de l’hystérique qui « fait l’homme »[19]. Cette illusion-là, d’être l’unique femme d’un homme, est une illustration de ce qui chute à la sortie d’une psychanalyse et ce n’est rien d’autre qu’une position, masochiste, d’objet.

 

« Pour clamer quelque chose du féminin, il faut accepter que la femme ne peut être que barrée »[20].

 

Pour finir, quelques mots sur la position du psychanalyste. Il est celui qui est concerné, par excellence, dans sa fonction, par cette position de se prêter à faire être les objets a. Dans cette logique-là, la position du psychanalyste, agalmatique, n’est-elle pas féminine ? Nul doute que oui. Deux fois plutôt qu’une : d’une part parce que l’éthique qui est la sienne est celle d’avoir vécu l’expérience de la castration offerte par une cure psychanalytique, d’autre part puisque sa fonction, dans la conduite des cures, lui impose d’être du côté du a (du semblant, évidemment). Dans les cures dont il a la responsabilité, ce n’est pas sa personne qui est concernée, mais ce qu’il représente, ce qu’il incarne. Cela implique évidemment des conséquences pour la formation et la technique du psychanalyste (parler quand cela est nécessaire et que l’Autre barré est convoqué, se taire par acte clinique et pas par incompétence ou par sadisme, ne pas s’éloigner du divan).

 

[1] Ibid., p. 339.

[2] Ibid., p. 341.

[3] Faladé, S. (1988-89). Le moi et la question du sujet, Paris, Economica, 2018, p. 69.

[4] Faladé, S. (1995). Op. cit., p. 330.

[5] Ibid.

[6] Ibid., p. 331.

[7] Ibid.

[8] Vanier, A. « L'enfant, objet a de Lacan ». Figures de la psychanalyse, 2012/2, n° 24, p. 44.

[9] Ibid.

[10] Faladé, S. (1988-89). Op. cit., p. 288.

[11] Ibid., p. 321.

[12] Lacan, J. (1968-69). Le Séminaire, Livre XVI, D’un autre à l’Autre, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p. 314.

[13] Ibid.

[14] Ansermet, F. « Trace et objet, entre neurosciences et psychanalyse ». La Cause freudienne, 2009/1, n° 71, pp. 172.

[15] Chardenet, V. (ss. la coord.). La trace, Paris, MJW Fédition, 2021, quatrième de couverture.

[16] Ansermet, F. Op. cit., p. 173.

[17] Lacan, J. (1968-69). Op. cit., p. 322.

[18] Nemraoui, F. « Entretien avec Dominique Miller ». Revue de psychanalyse et clinique médicale, 2021, n° 49, pp. 316-7.

[19] Faladé, S. (1991-93). Clinique des névroses. Paris, MJW Fédition, 2021, p. 31.

[20] Faladé, S. (1988-89). Op. cit., p. 204.

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