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Symptôme ou désir, il faut choisir !

Symptôme ou désir, il faut choisir !

 

Résumé :

Cet article concerne la sortie du complexe d’Œdipe, que ce soit pour l’enfant lorsqu’il doit se confronter à la fonction paternelle essentielle à son autonomie psychique ; ou pour le psychanalysant lorsqu’il expérimente la traversée d’une cure psychanalytique. Dans les deux cas, la traversée du complexe d’Œdipe permet à l’être de s’inscrire dans une existence vivable, car désirante. La cure psychanalytique permet à l’être qui souffre de rafistoler un complexe d’Œdipe insuffisamment traversé et de s’inscrire dans une voie désirante. C’est par l’action de la parole et la rencontre avec le grand Autre, soutenu par le transfert et la méthode psychanalytique que l’être pourra alors rencontrer sa division et supporter le manque, indispensable au désir.

  

Mots clés : complexe d’Œdipe – fonction paternelle – castration – phallus imaginaire – phallus symbolique – division subjective

 

 « Symptôme ou désir, il faut choisir ! », ce titre m’était venu à l’esprit comme une sorte de mot d’esprit et je l’avais alors proposé comme titre pour le dernier colloque de notre triptyque sur l’Œdipe. Bien sûr, nous pouvons y entendre une référence à la fameuse formule « boire ou conduire il faut choisir », invitant alors certains fêtards à la vigilance et à la préservation de leur vie. J’y vois pour ma part, pour revenir à notre thème du jour, une similarité avec celui ou celle qui est pris dans les filets d’un Œdipe coriace, collant, paralysant. La défaillance œdipienne, et plus encore de la fonction paternelle telle que l’a réécrit Lacan, fait virer l’être d’un côté où la vie, la vitalité et le désir ne sont plus au rendez-vous, ou très difficilement.

 

Là où mon propos s’attardera pour l’heure, c’est sur le terme de choix. Est-ce vraiment un choix, un choix de l’être de s’engager dans la voie du désir, et donc, de la castration, et non du symptôme ? Ma formule peut sembler quelque peu provocante en effet, comme s’il suffisait de vouloir pour pouvoir. Il ne s’agit en réalité ni de vouloir, et encore moins de pouvoir. Le terme choisir ne peut être entendu que pour celui qui, ayant effectué sa traversée de la mer œdipienne et d’au moins un de ses fantasmes fondamentaux, ne peut plus faire autrement que de se diriger dans la voie de son désir. Le choix ne peut s’entendre que dans l’après-coup de la traversée. Ce n’est pas un choix au sens où le moi n’y est pour rien dans cette affaire, puisqu’il a été dégonflé. S’il y a choix, cela ne peut être que celui de l’Autre de l’être, de cette partie de lui-même dont il n’a aucune maîtrise ni aucune prise et qui pourtant le définit et avec lequel, grâce à la psychanalyse, il pourra nouer un lien bien plus intime encore qu’avec son propre moi. Ce dernier, son moi, sera quant à lui profondément transformé par cette rencontre avec le grand Autre, lieu du langage que nous a légué Lacan, lieu du désir même, qui produit pour l’être des changements aussi spectaculaires qu’évidents grâce à un remaniement profond de la circulation libidinale.

 

Cette opération de rencontre avec le grand Autre qui traverse le moi et le transforme par la castration qu’est le langage est ici représentée par un schéma de Fernando de Amorim[1].

 

                                                                                                                                                          Cette représentation illustre le moyen d’action même de l’expérience psychanalytique.

 

Cette traversée et cette rencontre, qu’elles sont-elles ?

Nos deux précédents colloques nous ont permis de faire le point sur les deux premières étapes de l’Œdipe que nous pourrions définir respectivement comme la dyade originelle mère-enfant et l’introduction du père. La troisième et dernière étape de l’Œdipe concerne alors la fonction de castration de la fonction paternelle, essentielle pour sortir du complexe œdipien. C’est à ce moment-là que le père interdicteur et privateur du temps 2 doit advenir comme père castrateur, assurant à la mère et à l’enfant la voie de leur désir.

Nous avons vu que grâce à Lacan, la castration sort de son registre freudien imaginaire et devient symbolique. Elle ne concerne en aucun cas le pénis, l’organe, source d’angoisse, mais elle est une fonction symbolique qui opère une véritable structuration psychique. La fonction essentielle du Nom-du-Père est d’être symboligène, c’est-à-dire d’apposer du sens sur la coupure du lien mère-enfant, opérée par le père représentant la loi de l’interdit de l’inceste mais signifiée par la mère. L’enfant est mis dans l’obligation de renoncer à être le phallus de sa mère et celle-ci de l’avoir. L’enfant, constatant que son désir, à elle, est ailleurs, chez le père, entre dans la dialectique de l’avoir, avoir le phallus. Ce père, ou plutôt cette fonction paternelle, voici comment Dolto le définit : « le " père " n’est pas toujours le géniteur ou le monsieur compagnon de la mère, c’est la personne qui occupe les pensées de la mère gestante et qui a rôle symbolique du troisième, c’est-à-dire de père dans la dyade de la mère et de son enfant. »[2]

Le passage de l’oscillation de l’être ou ne pas l’être à celle de l’avoir ou ne pas l’avoir est introduite à ce moment-là où le désir de l’enfant devient dépendant du désir de la mère qui doit être soumis à la loi du désir de l’autre, autre qui a ou n’a pas le phallus. Là il se retrouve confronté à la question de la castration. La référence au phallus est une référence au père comme fonction de médiation entre mère et enfant avec une fonction spécifique tant du côté de la mère que de celle de l’enfant. La fonction paternelle n’a rien à voir avec le père réel et ses possibles carences, absences. La fonction paternelle est une métaphore, soit un signifiant qui vient à la place d’un autre signifiant. Cela suppose qu’un élément de langage (signifiant du Nom-du-père) vient désigner métaphoriquement l’objet de désir primordial devenu inconscient (signifiant du désir de la mère).

« Si l’enfant continue ainsi à nommer, sans le savoir, l’objet de son désir en signifiant le Nom-du-Père, une seule conclusion s’impose : l’enfant ne sait plus ce qu’il dit dans ce qu’il énonce. »[3]

Sous l’action de la métaphore paternelle se produit la division du sujet, la Spaltung, notion fondamentale puisqu’elle définit la subjectivité et ce par quoi le sujet advient et se structure sur un certain mode psychique. Il ne s’agit pas ici d’un clivage intrasystémique, ni intersystémique. Pour Lacan, « elle est ce qui institue l’appareil psychique en un système plurisystémique »[4] du fait de son assujettissement à l’ordre symbolique et grâce à la fonction paternelle.

La division du sujet opérée par l’ordre symbolique induit l’aliénation de l’être dans et par le langage. Le sujet s’évanouit dans la chaîne signifiante puisque le sujet est un signifiant qui renvoie à un autre signifiant. Autrement dit, l’être ne sait plus ce qu’il dit dans ce qu’il parle. Tel est le prix à payer pour accéder au langage. À partir de cette substitution, l’être se trouve pris dans les filets du langage et à jamais dépendant de la chaîne signifiante. Le désir, se faisant parole, ne devient jamais plus que le reflet de lui-même et à jamais inaccessible, indicible, insaisissable. Le désir d’être le phallus est refoulé au profit du désir d’avoir, ce qui impose à l’enfant d‘engager son désir dans la voie de la métonymie, sur le terrain d’objets substitutifs à l’objet perdu. C’est bien de cette castration symbolique, de par la nécessité où il s’est trouvé de se faire langage, que le désir, à jamais insatisfait, renaît continuellement puisqu’il est toujours fondamentalement ailleurs que dans l’objet qu’il vise ou dans le signifiant susceptible de symboliser cet objet. Il ne vise jamais qu’une partie du désir fondamental, c’est-à-dire un fragment de l’objet total perdu (le signifiant phallique). La métaphore du signifiant du Nom-du-Père met l’enfant dans l’obligation de prendre la partie, c’est-à-dire l’objet substitutif, pour le tout. Là se trouve le sort du sujet castré, sujet désirant, sujet parlant et dépendant des signifiants substitutifs qui se succèdent.

Ainsi, cette troisième et dernière étape de l’Œdipe est le résultat de l’avènement du père symbolique comme signifiant duNom-du-Père qui atteste de la reconnaissance d’un père castrateur par l’enfant, non seulement en raison de l’attribution phallique qui lui est accordée, mais encore du fait même que la mère est supposée trouver auprès de lui l’objet désiré qu’elle n’a pas. Le père symbolique n’apparaît donc à l’enfant comme père castrateur que dans la stricte mesure où l’enfant l’investit également comme un père donateur vis-à-vis de la mère. Ainsi, la métaphore paternelle actualise la castration en faisant force de Loi. Par conséquent, la castration ne saurait intervenir dans le complexe d’Œdipe que sous l’aspect d’une castration symbolique, faute de quoi elle demeure radicalement inintelligible. De fait, ayant pour objet le phallus, elle ne peut pas traduire autre chose que la perte symbolique d’un objet imaginaire. À présent l’enfant peut accéder au symbolique en tant que sujet désirant, c’est-à-dire qu’il peut désigner lui-même l’objet de son désir. Les assises du symbolique seront nécessaires pour border l’imaginaire et mettre à distance le réel.

En définitive, la sortie de l’Œdipe témoigne d’une castration qui suppose que l’identification aliénante au phallus maternel tombe et ouvre la voie à la possibilité d’une construction d’un phallus symbolique.

C’est cette opération que viendra rencontrer, dans sa cure psychanalytique, celui qui souffre d’être entravé, dans son existence, par un Œdipe insuffisamment traversé. Il ne le sait pas encore en franchissant la porte du psychanalyste auquel il demandera de l’aide, et c’est tout le chemin qu’il découvrira, grâce au transfert et à la méthode psychanalytique.

Dans « Le transfert », Lacan fait une distinction entre grand Phi (symbole à la place où se produit le manque du signifiant, donc présence du désir) et petit phi (phallus imaginaire), qui renvoie à cette polarité du signifiant phallus symbolique/imaginaire. C’est dans ce conflit imaginaire où le sujet se voit comme privé ou non du phallus que s’élaborent « les effets symptomatiques du complexe de castration »[5].

C’est donc bien l’échec du passage du phallus imaginaire (fantasme) au phallus symbolique (signifiant), opération résultant de la traversée des complexes de castration et d’Œdipe, qui sera décisif dans la formation des symptômes ultérieurs. Il s’agit donc bien, dans une psychanalyse, de défaire le désir des mailles de l’imaginaire grâce au symbolique.

La cure psychanalytique a pour fonction le deuil du phallus imaginaire et l’avènement de l’objet a comme cause du désir.

 « L’analyse articule l’objet a pour ce qu’il est, à savoir cause du désir, c’est-à-dire de la division du sujet, de ce qui introduit dans le sujet ce que le cogito masque, à savoir qu’à côté de cet être dont il croit s’assurer, le a est essentiellement et d’origine manque »[6].

Voici une illustration de cette envie du pénis, de ce phallus imaginaire dans le quotidien d’une jeune femme qui vient me rendre visite depuis quelques séances. Elle arrive en grande souffrance, prise d’angoisses massives et pour cause, des pensées « horribles » la submergent jour et nuit. Elle s’imagine agresser et tuer ses parents, et sa petite amie. (...).

Il suffit alors de demander de continuer ses associations et, si la patiente joue le jeu de dire vraiment ce qui lui vient à l’esprit, alors les associations mènent au vrai. C’est le cas pour cette patiente, qui inévitablement fit le lien avec les séances précédentes qui mirent en lumière sa difficulté, sa frustration, de ne pas avoir de sexe masculin. Aller chercher un couteau pour tuer sa compagne n’est rien d‘autre qu’une substitution signifiante, du déplacement du mot pénis au mot couteau, travail effectué par son esprit pour contourner le manque phallique. Cette tentative est une réussite, si nous considérons qu’elle continue à refouler la vérité de sa souffrance à cette patiente, mais aussi un échec puisque cela revient, en symptôme, toquer à la porte de la patiente comme un appel à sortir de son ignorance.

La patiente arrive à la consultation avec un symptôme que bon nombre de médecins auraient pris à la lettre et auquel ils auraient répondu par des médicaments. À la lueur de ce qu’elle vient de mettre en lumière et par la même occasion, ce qu’elle vient d’apprendre, qu’elle serait l’utilité d’une prise d’anxiolytiques pour soulager ses pensées ? Aucune. En quoi cela permettrait-il à la patiente de savoir quelque chose de son malaise ? D’ailleurs telle n’est pas la visée d’une médication qui a plutôt celle d’éradiquer le symptôme et non d’en apprendre quelque chose. Ce pansement provisoire est illusoire ; la prise de médicaments n’apaisant parfois même pas la souffrance. Mais quand bien même la prise de médicaments peut la rendre plus supportable, toutefois, le véritable recours sera de pouvoir venir dire, courageusement, au psychiste formé à cette écoute particulière de l’inconscient, le fond de ses pensées.

Pourquoi cet acharnement de la médecine à lire le symptôme comme une fin en soi ? Le symptôme est un écran de fumée, une énigme à déchiffrer. Il est le dernier leurre que l’esprit fomente pour éviter à la conscience de s’éveiller. Lorsque le patient arrive chargé de son symptôme, généralement bien installé, enkysté, la vision du moi est totalement étriquée et réduite à cela. Malheureusement, c’est à partir de son moi (et, qui plus est, d’un moi gonflé) que l’être lit le monde. C’est évidemment très étouffant. L’acte de dire de cette patiente est de reconnaître le déplacement signifiant de l’objet couteau : objet qui tue (comme dans ses pensées angoissantes) à objet qui pénètre (comme l’objet de son désir, de sa frustration, le pénis). Alors, à la question comment ça marche la psychanalyse ? À quoi sert la méthode de la libre association des pensées ? J’espère que cette vignette clinique en feraun exemple, à savoir, dire le vrai et sortir du mirage du symptôme.

 

Cette patiente n’en est pas encore à parler son Œdipe et à renoncer à son phallus imaginaire. Elle vient à peine de faire un pas pour reconnaître à quel point elle y est empêtrée, dans cette envie du pénis, de ce « vouloir quelque chose qu’il est impossible d’avoir ».

Cette quête du phallus imaginaire, je pourrais aussi l’illustrer brièvement par les dires d’une psychanalysante, un peu plus avancée donc dans sa cure, qui reconnaît à mi-motcette quête du phallus imaginaire dans la volonté qui fut la sienne d’avoir un enfant. Elle était mariée et voulait un enfant. Son mari n’en voulait pas mais il céda à son désir à elle. Pendant la grossesse, celui-ci la trompe et il se sépare avant même que l’enfant soit né. L’idée n’est pas de dire ici que madame est responsable de l’irresponsabilité de son mari. Par contre, elle a pu entendre qu’elle n’avait pas voulu entendre le non désir de son mari. Ce qui primait était sa volonté à elle d’ « avoir un enfant ». Avoir un enfant.

À quoi elle ajoutera qu’un enfant doit être issu du désir des deux parents. Et j’ajouterais qu’il le faut d’autant plus que le désir de chacun des deux parents sera largement convoqué dans la résolution du complexe d’Œdipe de leur enfant, comme nous l’avons vu précédemment.

Établir les coordonnées œdipiennes du symptôme est indispensable dans la cure. Le déchiffrage de la chaîne signifiante et des multiples substitutions pourra être révélé grâce aux associations libres du patient. La structuration du symptôme renvoie inévitablement aux désirs œdipiens et aux défenses que l’être met en œuvre pour ne pas s’y confronter, fut-ce au prix du symptôme, de son corps, de sa souffrance. Mon hypothèse est qu’à travers le symptôme, l’être refuse sa castration tout en la recherchant. Il s’efforce de la rejeter mais par le symptôme, via la résistance du surmoi, il recherche un effet de castration, c’est-à-dire un effet d’apaisement, en tentant de se punir pour soulager sa culpabilité inconsciente œdipienne qui le dévore. Ainsi, le symptôme peut être considéré comme un chiffrage de la jouissance œdipienne, et donc comme un refus de la castration symbolique, mais aussi comme une recherche vaine de celle-ci. En effet, point de castration si l’être ne passe pas par le symbolique ; le symptôme fait court-circuit. Passer par le symbolique suppose une opération de rencontre avec son grand Autre, détaillé dans le schéma ci-dessus. Cette opération mènera le patient puis le psychanalysant jusqu’à la mer œdipienne, puis, au travail du fantasme qui aboutira à la sortie de cure du psychanalysant. Cette sortie de cure témoigne d’un être devenu sujet, marqué du manque, divisé et apte à soutenir son désir grâce à la construction d’un phallus symbolique qui n’a plus rien à voir avec la lourdeur et l’aliénation du phallus imaginaire.

 

Julie Mortimore

 

Si vous souffrez et que vous souhaitez venir lever le voile, vous pouvez me contacter ici.

 

 

[1] Schéma du Moi élaboré par F. de Amorim dans un document interne au RPH-Ecole de psychanalyse

Flèche noire : discours du patient visant la relation imaginaire (a-a’)

Flèche bleue : intervention du psychanalyste visant la mobilisation intrapsychique

Flèche orange : mouvements possibles entre les différentes parties du moi

Flèche verte : mouvement possible par le grand Autre inconscient exprimant le désir

 

[2]Dolto, F. Tout est langage, Gallimard, Collection Folio essais, 1994, p. 59.

[3] Dor, J. Introduction à la lecture de Jacques Lacan. L’inconscient structuré comme un langage, Éditions Denoël, 1985, p. 132.

[4] Ibid., p.131.

[5] Lacan, J. (1960-61). Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert, Paris, Éditions du Seuil, 2001, p. 292.

[6] Lacan, J. (1968-69). Le Séminaire, Livre XVI, D’un autre à l’Autre, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p. 344.

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