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Savoir, ce n’est pas comprendre

Qu’y a-t-il à gagner à faire une psychanalyse ? Et qu’y a-t-il à perdre ?

Il est en effet beaucoup question d’ignorance pour celui qui souffre et qui vient rendre visite à un psychanalyste. La technique psychanalytique et le transfert viendront soutenir et réveiller le désir de l’être à savoir, savoir quelque chose sur ce qui le fait souffrir, savoir quelque chose sur son désir, à lever le voile de cette ignorance qu’il alimente d’un côté, par son symptôme ; mais qu’il a le courage, d’un autre côté, de venir bousculer lorsqu’il vient nous rendre visite. L’ignorance est inévitablement affaire du moi, c’est lui qui ne veut rien savoir et se défend tant bien que mal contre le désir de l’être, un désir qui le dérange, le culpabilise, l’agace. C’est pour cela qu’il ne s’agit pas de dialoguer avec le moi dans la cure, même si nous avons inévitablement affaire à lui. Il ne s’agit ni de lui parler, ni de le renforcer, ni de le conforter, bien au contraire ! Le moi a besoin d’être oxygéné, allégé.

Il est convoqué le moins possible dans la cure, et pourtant, il va grandement subir les effets de l’association libre. Là est la beauté de la psychanalyse ! 

Dans la clinique, et afin de conduire au mieux la cure, il est d’une importance capitale de savoir repérer, lorsque que le patient parle, d’ ça parle.

Je fais référence ici à l’appareil psychique tel que nous l’a enseigné Sigmund Freud, à savoir composé des trois instances psychiques : ça, moi et surmoi ; et nourri de l’apport de Jacques Lacan, le grand Autre, ce lieu du trésor des signifiants qui est là avant même la venue de l’être au monde et qui est convoqué chaque fois que l’être s’exprime, en gestes ou en mots.

La règle fondamentale de la psychanalyse, dire ce qui traverse l’esprit sans retenir quoi que ce soit, vise précisément à encourager le patient à aller piocher ailleurs, ailleurs que dans son moi, un savoir sur son désir. Et plus précisément, à aller piocher dans ce grand Autre.

L’ignorance de l’être est mise à mal à partir du moment où il devient patient, et encore plus psychanalysant, où il joue le jeu d’associer librement ses pensées et qu’ainsi, il puisse accéder à une Autre parole, à une Autre langue qui le constitue.

La force de la psychanalyse est de pouvoir faire dire aux mots tout autre chose que ce qu’ils avaient dit jusque là. Lorsque l’être sur le divan parvient à piocher dans ce trésor des signifiants et non plus à s’exprimer à partir de son moi, alors nous pourrions dire qu’il parle une Autre langue. Il s’agirait presque d’un bilinguisme, de parler une langue étrangère, mais avec les mêmes mots. Tout le travail consiste en pouvoir les entendre différemment, Autrement.

C’est cela qui transforme dans une cure, cette parole qui vient de ce lieu-là. Une parole qui vient du moi ne produit pas de transformation. Celle qui vient du grand Autre, qui surprend et qui chamboule complètement le moi, celle-là viendra modifier le rapport de l’être à lui-même, aux autres, au Réel.

Cela s’entend quotidiennement dans la clinique : « je n’avais jamais entendu cela comme ça », « ce n’est pas ça que je voulais dire mais c’est sorti comme ça », « je ne sais pas pourquoi mais ce mot-là me vient à l’esprit » et même mieux encore grâce aux lapsus. Certains choisiront de ne rien entendre, « non non je me suis trompé, ce n’est pas ça que je voulais dire ». Mais lorsqu’ils l’entendent, cette parole fait retour dans le moi, et cela produit un effet de castration. L’ego se dégonfle, l’être accepte peu à peu qu’il ne sait pas tout. Il se confronte à son ignorance, et là, se réanime du désir, dans la cure et dans la vie du patient.

Pour cela, il faudra aussi beaucoup du désir du psychanalyste, pour qu’il puisse veiller à faire suivre au patient la voie de l’association libre, à savoir, dire ce qui vient à l’esprit sans retenir quoi que ce soit, et non pas ce que le patient veut dire. Plusieurs fois par jour, j’entends les patients commencer leur séance par « oui alors aujourd’hui je voulais dire, je voulais parler de », « non, pas ce que vous voulez dire, là maintenant, c’est quoi qui vous vient à l’esprit ? ». Parce que si on ne fait pas ça, nous cliniciens, alors on laisse le moi parler, raconter, essayer de comprendre, d’analyser. Et ce n’est pas du tout par cette voie-là que l’être pourra savoir quelque chose sur lui-même, véritablement, sur ce qu’il a de plus intime, savoir sur son désir inconscient.

Savoir, ce n’est pas comprendre. Ça ne se passe pas à partir du moi. La castration s’introduit dans la cure chaque fois que le patient accepte que sa parole ne vienne pas de son moi. Chaque fois qu’il accepte de jouer le jeu d’associer librement et qu’un signifiant se fraye un chemin jusqu’à sa parole.

Lacan a bien différencié le sujet de l’énonciation, du sujet de l’énoncé. A partir de sa théorie du signifiant qu’il pioche chez Saussure, il nous apprend que c’est le signifiant qui gouverne dans le discours du sujet et, plus encore, c’est lui qui gouverne le sujet lui-même.

Cette primauté du signifiant, d’une importance technique et clinique majeure, renvoie au fait, qu’ « un discours en dit toujours plus long qu’il n’escompte en dire, à commencer par le fait qu’il peut signifier tout autre chose que ce qui se trouve immédiatement énoncé »[1].

La suprématie du signifiant est au fondement même de la notion de parlêtre chez Lacan, et de la division subjective. L’être est en effet confronté au fait qu’il ne parvient pas à dire ce qu’il veut dire. Et qu’en plus, à son insu, il en dit bien plus qu’il ne le souhaiterait.

Et là est la beauté de la cure psychanalytique : permettre à celui qui vient nous rendre visite, malgré ses résistances, malgré ses réticences, malgré qu’il n’en veuille pas de cette castration symbolique, qu’il puisse, peu à peu, y accéder en acceptant d’entendre autre chose, qu’il sait déjà pourtant depuis longtemps et qui s’exprime à travers ses symptômes.

Qu’est-ce donc que cette autre chose à entendre ?

Le génie de Freud a été, entre autres, de découvrir que le symptôme est une formation de compromis entre deux désirs qui s’opposent. Il contient donc, de façon voilée, un désir inconscient qui pousse pour être entendu. Et même, ce symptôme, il peut s’avérer être une forme de message adressé à un Autre. Et ce message, le sujet souffrant n’en sait encore rien, et c’est parce qu’il n’en sait rien qu’il souffre. L’efficacité de la cure dépend en partie du déchiffrage de ce message que porte le symptôme. Comme disait Lacan, « que le sujet découvre progressivement à quel Autre il s'adresse véritablement[2] ».

Le symptôme est une entité langagière, il est fait de mot et de libido, et il contient une vérité bâillonnée. C’est bien de cela qu’il s’agit en effet, les êtres parlants font des symptômes car ils sont malades d’une vérité qui n’est pas dite et encore moins assumée. Le sujet crie sa vérité par son symptôme. Nous pourrions alors parler de l’intelligence du symptôme car le symptôme n’est rien d’autre qu’un chiffrage, un cryptage. Dans Fonction et champ de la parole et du langage, Lacan nous dit que le symptôme « se résout tout entier dans une analyse du langage parce qu’il est lui-même structuré comme un langage, qu’il est langage dont la parole doit être délivrée »[3].

Ce langage du symptôme « a le caractère universel d’une langue qui se ferait entendre dans toutes les autres langues, mais en même temps, pour être le langage qui saisit le désir au point même où il s’humanise en se faisant reconnaître, il est absolument particulier au sujet »[4].

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Que le symptôme porte un message unique au sujet, quand bien même on parle de phobie de l’avion, d’addiction à la pornographie, de troubles alimentaires, comme s’il s’agissait de la même chose pour chacun. Ce n’est jamais la même chose pour telle ou telle personne qui en souffre parce qu’au cœur même de ce symptôme, il y a un désir inconscient, propre au sujet, à reconnaître.

Le symptôme apparaît comme sous un masque, il n’est que l’arbre qui cache la forêt en quelque sorte. Il est le résultat d’une métaphore, d’un effet de langage et il ne pourra être résolu qu’à partir du dévoilement que permet la règle fondamentale de la psychanalyse, l’association libre, grâce à quoi l’être va pouvoir accéder à cette langue qui le parle.

En effet, c’est moins lui qui parle cette langue qu’elle qui le parle. Les effets de cette langue, que Lacan nommera « lalangue », en un seul mot, vont bien au-delà de ce qui est énoncé par celui qui parle. C’est elle qui fait du sommeil des énigmes, qui fait dire ce qu’on ne voulait pas dire, qui fait fourcher la langue et déraper les mots, qui nous fait rencontrer lapsus et équivoque. Une langue qui se joue de l’être, qui jouit et dont il n’a nulle maîtrise. C’est cette langue, cette intelligence inconsciente qui va venir nous surprendre dans la cure. Cette semaine encore, une psychanalysante en témoignait merveilleusement bien. Un mot lui échappe, ce n’est pas ce qu’elle voulait dire, et elle dit « c’est incroyable comme l’esprit va toujours là où il veut aller ». Eh oui, c’est exactement cela !

Cette intelligence inconsciente, c’est elle aussi qui affecte le corps et qui s’inscrit en métaphore, par le symptôme. Les formations de l'inconscient – oublis, lapsus, actes manqués, mots d'esprit, rêves et symptômes –, se structurent par le langage, dans une langue. Ce que nous vivons, pensons, ressentons, en effet, s’inscrit en nous par des mots, qu’ils viennent de nous ou qu’ils nous soient dits.

Le déchiffrage du symptôme, dans une cure psychanalytique, guidée par les associations libres, ne s’appuie pas seulement sur la signification des mots telle qu’un dictionnaire peut nous la livrer mais sur la façon dont ces mots résonnent en nous, d’un point de vue sonore avant toute chose, et comment, dans la langue, ils s’associent à d’autres. Autrement dit, il s’agit de la façon dont les mots « jouent » entre eux.

Mais le déchiffrage du symptôme, et la levée du refoulement dont il résulte, se heurte à des mécanismes d’une force redoutable, les résistances de l’être et la jouissance qu’elles suscitent. Car le symptôme est ce lieu de rencontre particulier de la souffrance mais aussi de la jouissance ! D’où la difficulté du patient à en sortir, puisqu’il y trouve son compte quand même !

Freud a découvert cela très tôt. En 1901, il passe quinze jours à s’interroger sur ce qui s’est passé et sur l’échec de la cure du cas Dora, qui ne sera publié qu’en 1905, sous le titre Fragment d’une analyse d’hystérie. C’est là qu’il mentionne pour la première fois le « bénéfice secondaire de la maladie » comme obstacle principal à la cure et à la volonté de guérir.

De cet échec ressort un concept tout à fait fondamental, le « bénéfice » de la maladie qui peut engendrer l’échec d’une cure s’il n’est pas repéré. Si le clinicien, qui a pour mission de conduire la cure, ne permet pas, à un moment donné, au patient de reconnaître sa responsabilité dans l’affaire.

Freud écrit à ce sujet : « Celui qui veut guérir le malade se heurte, à son grand étonnement, à une forte résistance qui lui apprend que le malade n’a pas aussi formellement, aussi sérieusement qu’il en a l’air, l’intention de renoncer à sa maladie »[5].

Les bénéfices secondaires font partie des résistances du moi. Rappelons aussi que Freud fait état de cinq résistances, trois du moi, une du ça et la plus féroce celle du surmoi, qui renvoie au désir de punition. Chacune d’elle est source de jouissance et s’oppose donc au traitement psychanalytique.

En voici un exemple merveilleux. Un patient que je recevais, souffrait de son apparence physique, d’homme, et fantasmait de ressembler à une femme. Il dit un jour ceci : « Je veux bien me débarrasser de ma souffrance, mais je ne veux pas me débarrasser de ce qui me fait souffrir ». J’ai à peine eu le temps de saisir la subtilité de ces paroles que la suite m’y a aidée un peu plus : « je sais que je ne vais pas dans la bonne voie, mais je ne veux pas lâcher cette idée que changer mon apparence me rendra heureux ». Tout est dit, il ne veut pas lâcher. Pourquoi ? Parce qu’il y a jouissance. Celle de maltraiter son corps, mais aussi celle qui consiste à ne rien savoir sur son rapport à son propre sexe, le cœur du problème.

Mais au lieu de s’y confronter, au lieu de chercher dans cette Autre langue que j’évoquais tout à l’heure, la solution qu’il trouve est celle de faire disparaitre le problème. Il se leurre, bien sûr, mais en ressemblant de plus en plus à une femme, il pense écarter le trouble qu’il a d’être un homme.

Il faut savoir que ce patient, comme beaucoup, a succombé aux promesses de la chirurgie esthétique, qui joue le jeu de répondre à la demande du patient, et il a fini par abandonner sa cure. Et c’est ça le drame. Il n’y a rien de plus désastreux, en effet, que de répondre à la demande du patient, puisque c’est sans fin, ça tourne en boucle, il y aura toujours une demande puis une autre. Mais toute demande comblée étouffe le désir, et ainsi le cycle de la demande, et de l’insatisfaction, continue en roue libre sans jamais s’arrêter. Puisque le patient est à la recherche d’un objet perdu dont il n’accepte pas la perte.

La psychanalyse ne joue pas le jeu de répondre à la demande. Elle vise à ôter, à enlever, à dépouiller l’être, à le confronter à ce manque qu’il cherche à combler, à faire disparaître, par le symptôme notamment. La perte de soi est là. L’être aura à rencontrer sa propre castration dans la cure, inévitablement. Ce qui n’est pas chose aisée, beaucoup auront abandonné avant d’y parvenir. Freud évoquait déjà cela en 1905, dans son article De la psychothérapie où il dit que « la thérapie analytique n'a que faire d'appliquer, elle ne veut rien introduire de nouveau, mais veut enlever, retirer (…) »[6].

Dans sa cure le patient paie, à chaque séance, mais jamais sa demande n’est satisfaite. Surtout pas, jusqu’à ce qu’il puisse rencontrer son désir et sa castration. Et c’est cette rencontre-là qui apaise et qui transforme. Tant que le désir ne s’arrime pas sur la castration, et donc sur le renoncement, tant que les résistances du moi et du surmoi ne sont pas traversées par elle, l’être en paie le prix. Et parfois très cher.

Le désir est complètement englouti sous les exigences de la résistance du Surmoi. L’être se réfugie dans son symptôme car pour lui, c’est une solution moins mauvaise que ce qu’il refuse d’assumer, à savoir sa castration et surtout celle de l’Autre. Cela est directement lié à l’échec de la traversée de son Œdipe. Visiblement quelque chose n’a pas lâché, il n’a pas renoncé clairement et définitivement à sa jouissance œdipienne. Et comme il le refuse, la résistance du surmoi prend le relais et cherche à punir le moi par tous les moyens.

Cette résistance du surmoi est tout à fait repérable dans la cure. Il est possible d’entendre, lorsque le patient s’exprime, que c’est la résistance du surmoi qui parle, et le moi qui subit, qui ne peut rien faire. Je pense à un patient qui souffre de crises de boulimie, qui ne peut s’arrêter de manger qu’à partir du moment où son corps ressent une grande souffrance, qu’à partir du moment où « son corps n’en peut plus ». Cette violence qu’il s’inflige, c’est la résistance du surmoi à l’œuvre. C’est elle qui dit « Jouis ! », « Mange ! ».

La limite ne peut être marquée qu’au moment où est atteinte la douleur physique. C’est le corps qui dit « stop » parce que, pour l’instant, il n’y a que lui pour le dire, car le moi n’est pas traversé par la castration symbolique. Ce refus de la limite, cette aliénation à la résistance du surmoi, cette chose en soi plus forte que le reste qui pousse à la destruction, nous pouvons le trouver chez chaque personne qui nous rend visite.

L'action efficace de la psychanalyse repose sur la rencontre de l'être avec la castration. « L’intelligence » de la cure, c’est d’offrir à celui qui vient s’y frotter une autre grille de lecture de son symptôme, de sa jouissance. Ce qu’il va découvrir dans sa cure le conduira irrémédiablement à son Œdipe, car ce qu’il a réglé se trouve ici, son rapport à papa et maman, sa haine, son désir incestueux, son aliénation au désir de l’Autre et finalement, jusqu’à ce qu’il puisse formuler son fantasme fondamental et le traverser.

Ainsi, il y a à perdre quand on traverse une psychanalyse. Mais qu’y a-t-il à y gagner ? Est à gagner tout ce qui est empêché au préalable, par le symptôme notamment, mais pas seulement. Le gain est directement lié à la perte en fait, aussi étrange que cela puisse paraître à première vue. A première vue pour le moi, qui ne veut rien perdre comme nous l’avons vu. Mais petit à petit, grâce au transfert, grâce à l’effet d’apaisement que produit la castration, le moi va céder et il va accepter ce dépouillement. Et le cadre de la cure va l’y aider.

Par ce bout de savoir qu’il acquiert sur lui-même, grâce aux associations libres, s’il accepte de jouer le jeu bien sûr, la jouissance qui est cryptée dans le symptôme, ce que Freud appelait les bénéfices secondaires, cela devient intelligible, interprétable. L’être apprend en quoi il y est pour quelque chose dans l’affaire. La jouissance œdipienne, source d’une culpabilité immense, s’exprime par des mots et non plus des maux. C’est-à-dire des symptômes psychiques, corporels ou organiques.  Et comme le mot borde la jouissance, il y a une perte à assumer ici si l’être va jusqu’au bout de cette traversée. Il y a indéniablement un changement du mode de jouissance à la sortie d’une psychanalyse, l’être jouit dans son existence d’une toute autre manière, et cette jouissance là n’a plus rien de mortifère.

Il pourra même en venir à le rechercher ce dépouillement, tant cette perte-là d’imaginaire, de culpabilité, de jouissance est salvatrice.

Tous les arrangements de l’être avec son ego qui réduisaient le champ des possibles, qui l’emprisonnaient dans son narcissisme qu’il s’efforçait de ne pas égratigner, tout comme sa colère, sa haine, vont être bousculés par la cure qui viendra réveiller tout cela, mais aussi son désir.

Et au lieu de réduire le monde à la petitesse du moi, la cure va ouvrir. Il faut imaginer tout ce qu’empêche le symptôme, la souffrance, le désir de punition de l’être ! La vie de certains patients se réduit parfois à un enfer quotidien ! Ça empêche d’aimer, de travailler, de se lever le matin, de créer, de rencontrer l’autre, de prendre soin de soi et de ceux autour qui comptent.

Une traversée comme celle-là n’est pas avare de changements. Bien entendu il y a liquidation des symptômes, qui va de soi puisque c’est le circuit libidinal qui est modifié.

De par la castration symbolique introduite dans la cure, la libido retrouve son lit « normal » en quittant le bras mort où elle s’engouffrait du fait des symptômes.

Mais ce n’est pas juste guérir d’un symptôme. Ce sont des effets dans le quotidien, qui s’installent durablement. C’est assumer ce désir de se tirer vers le haut et ne plus entendre les sirènes de la résistance du surmoi qui tirent vers le bas. Mais ces sirènes là sont très fortes.

Je pense à un patient qui m’a dit il y a peu : « C’est plus rassurant de dysfonctionner comme on connaît que fonctionner comme on ne connait pas ». J’ai trouvé cela très éclairant. Cette phrase résume à elle seule la difficulté du patient à perdre dans la cure, perdre quelque chose de ce moi gonflé qui veut tout contrôler, tout connaître, tout comprendre, mais ne rien savoir.

Les patients ne veulent pas lâcher leur jouissance, et donc leur souffrance, parce que l’inconnu fait peur, le vide fait peur, et c’est pour cela que certains, parfois même malgré des symptômes qui gâchent leur existence, font le choix de ne rien vouloir savoir. Et nous, cliniciens, qui comptons avec la psychanalyse, nous ne pouvons compter qu’avec ceux qui ont le désir de savoir.

Il s'agit donc, dans une psychanalyse, de changements, et Freud défendra tout au long de son œuvre l’idée que la psychanalyse n'a pas pour finalité première de guérir les symptômes mais agit bien plus profondément.

Lacan reprendra cette idée lorsqu’en 1957 il prononcera cette fameuse formule que la guérison a toujours un « caractère de bienfait de surcroît »[7] mais qu'elle n'est pas le but premier de la psychanalyse. La psychanalyse ne se résume pas à un processus thérapeutique. Lacan dira même qu'« il s'agit au contraire d'apprendre au sujet à nommer, à articuler, à faire passer à l'existence, ce désir qui littéralement, est en deçà de l'existence, et pour cela insiste. Si le désir n'ose dire son nom, c'est que son nom, le sujet ne l'a pas encore fait surgir. Que le sujet en vienne à reconnaître et à nommer son désir, voilà quelle est l'action efficace de l'analyse »[8].

Ainsi, la cure amène la disparition des symptômes certes, le sujet s’en allège disons, mais cela est la conséquence du processus psychanalytique qui a produit ses effets et non un but en soi ! Ce processus est celui de l’effet de ce bilinguisme, de l’effet de cette double langue, de cette Autre langue qui infiltre le discours et la vie du sujet. Sous le symptôme, il y a le désir !

 

 



[1] Dor, J. Introduction à la lecture de Jacques Lacan. L’inconscient structuré comme un langage, Denoël, Paris, 1985, p. 22.

[2] Lacan, J. (1954-55) Le Séminaire, Livre II, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1978, p. 288.

[3] Lacan, J. « Fonction et champ de la parole et du langage », in Ecrits 1, Seuil poche, Paris, 1999, p. 267.

[4] Ibid., p. 292.

[5] Freud, S. (1905) « Fragment d’une analyse d’hystérie », in Œuvres Complètes, Vol. VI, PUF, Paris, 2009, p. 223.


[6] Freud, S. (1905) « De la psychothérapie », in Œuvres Complètes, Vol. VI, PUF, Paris, 2009, p. 51.

[7] Lacan, J. Intervention sur l’exposé de G. Favez : « Le rendez-vous chez le psychanalyste » à la Société française de psychanalyse le 5 février 1957, publié dans La psychanalyse, 1958, n° 4, « Les psychoses », p. 305-314.

[8] Lacan, J. (1954-55) Le Séminaire, Livre II, Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1978, p. 267.

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