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La sexualité féminine, à coup de bistouri ?

Nous assistons de plus en plus à un phénomène que je trouve assez éloquent et intéressant à observer pour ce XXVè colloque du RPH dédié à la sexualité féminine, celui de la mise sur le marché d’une sexualité féminine perfectible, voire stimulable par quelques produits ou autres opérations chirurgicales, pour pallier au manque de libido chez la femme.

En effet, la chirurgie plastique des organes génitaux : de plus en plus de femmes s’y mettent !

Après l’amaigrissement, la jeunesse éternelle puis une poitrine sur mesure, voici le temps du « sexe parfait ». Lancée aux Etats-Unis, la chirurgie intime des femmes propose toute sorte d’acte opératoire pour rajeunir la vulve, lifter le pubis ou encore amplifier le point G ! Que de belles promesses !                                                                                                                         

Et surfant sur ce marché apparemment juteux, le viagra féminin s’annonce comme le remède miracle à la libido en berne. Pour y remédier, il s’agirait alors d’ingurgiter certaines molécules chimiques. Derrière cette injonction à jouir, et ces idées reçues qui clament que la sexualité serait l’affaire des hommes et que les femmes n’auraient qu’à vivre avec leur frigidité et leur plaisir simulé, la psychanalyse nous propose une toute autre voie, celle d’apprendre à jouir et à désirer autrement que par des artifices.

Freud évoque la sexualité féminine assez tardivement dans son œuvre, à partir de 1923, et en référence à sa thèse du primat du phallus selon laquelle, pour les deux sexes, « un seul organe génital », le masculin, joue un rôle structurant. Freud revoie en effet sa copie à propos de sa première hypothèse sur la sexualité infantile datant des Trois essais sur la théorie sexuelle (1905) selon laquelle, après la phase orale et anale, advient la phase génitale de la sexualité, conforme à celle de l’adulte. Dans ce texte majeur de la pensée freudienne, le père de la psychanalyse repense la question de la sexualité humaine. Empruntant ses modèles à la biologie darwinienne, il soutient la thèse d’un monisme sexuel et d’une essence « mâle » de la libido humaine. Cette thèse d’un monisme sexuel réfute donc l’existence d’une race féminine mais pas l’existence de la bisexualité. En effet, pour Freud, aucun sujet n’est détenteur d’une pure spécificité mâle ou femelle. Le monisme sexuel signifie que dans l’inconscient, la différence des sexes n’existe pas. D’où l’existence des deux homosexualités : féminine quand la fille reste trop attachée à la mère au point de choisir un partenaire du même sexe, masculine quand le garçon effectue un choix semblable pour dénier la castration maternelle.

En 1923, dans L’organisation génitale infantile, Freud affirme qu’il ne s’agit pas d’un primat génital mais d’un primat du phallus qui définit structurellement la fille autant que le garçon. Il y a donc un tronc commun viril de la vie sexuelle précoce. Et il ajoute « qu’on ne peut prendre en compte exactement la significativité du complexe de castration que si l’on prend conjointement en considération son apparition à la phase du primat du phallus[1] ».

Le complexe de castration, d’ailleurs, est un élément organisateur majeur de la sexualité féminine à venir. Il ne s’organise pas, selon Freud, de la même manière pour les deux sexes. La sexualité de la fille s’organise, selon Freud, autour du phallicisme : elle veut être un garçon. Bien plus, en entrant dans la phase phallique, « la petite fille est un petit homme[2] ». La petite fille, écrit Freud, remarque « le pénis, visible de manière frappante et bien dimensionné, d’un frère ou d’un compagnon de jeu, le reconnait aussitôt comme la contrepartie supérieure de son propre organe, petit et caché, et elle a dès lors succombé à l’envie du pénis[3] ». Elle l’a vu, sait qu’elle ne l’a pas et veut l’avoir. Ainsi se constitue l’envie du pénis, le penisneid, qui constitue le complexe de castration de la fille, tandis que l’angoisse au sujet du pénis constitue le complexe de castration du garçon.

Par ailleurs, la fille ignore l’existence du vagin et le clitoris jouerait le rôle d’un homologue du pénis. Le sexe féminin est alors perçu comme un organe châtré. La petite fille vit cela comme une blessure narcissique, un sentiment d’infériorité, une dépossession, et même comme une punition personnelle avant de se résoudre à un constat général : les femmes n’en ont pas. Deux déceptions vis-à-vis de la mère en découlent : celle de ne pas l’avoir dotée « d’un véritable organe génital, c.-à-d. qu’elle l’a fait naitre femme [4]», celle de la découverte de la mère comme châtrée. De cette dévalorisation de la mère découle le détachement de la relation à celle-ci en tant qu’objet et le retournement vers le père. La petite fille reporte alors tous ses espoirs vers le père et attend de lui le pénis que la mère lui a refusé. Au moment de l‘Œdipe, elle désire un enfant du père, et ce nouvel objet est investi d’une valeur phallique.

Contrairement au garçon, la fille doit se détacher d’un objet du même sexe, la mère, pour un objet de sexe différent. Pour les deux sexes, l’attachement à la mère est l’élément premier. L’accès à la féminité est ainsi un long parcours qui suppose le détachement d’avec la mère préœdipienne et l’investissement du père œdipien et nécessite à la fois un changement d’investissement de zone érogène (du clitoris au vagin) et un changement d’objet. Ainsi, le développement de la fille en femme est, nous dit Freud, « le plus difficile est le plus compliqué car il comprend deux tâches de plus, dont le développement de l’homme n’offre aucun pendant[5] ».

Freud soutient qu’il n’existe pas de liquidation de l’œdipe chez la femme. Alors qu’il succombe chez le garçon sous la menace du complexe de castration, la petite fille, elle, entre dans l’Œdipe du fait de l’envie du pénis et du complexe de castration et n’en sortira jamais. En effet, le garçon et la fille entrent dans le conflit œdipien à partir de la phase de la sexualité phallique. Si le garçon parvient à en sortir par la menace de castration et donc par le choix de « protéger son organe », la fille, elle, entre dans le conflit œdipien par le complexe de castration et y reste pour une durée indéterminée.

Selon la théorie freudienne, l’accès à la féminité serait une des issues possibles au conflit œdipien pour la petite fille. Trois voies s’ouvrent à elle : l’investissement du père et le choix d’objet d’amour hétérosexuel, c’est-à-dire la féminité normale ; le détournement de la sexualité dans la névrose et l’inhibition sexuelle ; le refus de renoncer au phallus et le développement d’un complexe de masculinité. Selon la théorie freudienne, la féminité sera acquise seulement si une équivalence entre le pénis et l’enfant est établie, le désir du pénis se métabolisant en désir d’enfant.

Ce refus de renoncer au phallus renvoie plus qu’à l’organe lui-même, la fille voudrait avoir les avantages narcissiques et sociaux liés à la possession du pénis.

Freud fut largement critiqué à partie des années 1920, par des analystes femmes et hommes, telles que Mélanie Klein et Karen Horney ou Ernest Jones. Ils critiquèrent l’hypothèse freudienne, jugée trop phallocentrée, de l’absence de sentiment du vagin chez la fille et le point de vue trop patriarcal de Freud où la femme ne serait vu que comme un homme manqué. Ils contestèrent le monisme sexuel au profit d’un dualisme. La principale erreur de Freud fut de négliger tout le domaine des relations archaïques à la mère. Il y reviendra en 1933 dans sa XXXIIIè leçon des Nouvelles leçons d’introduction à la psychanalyse en affirmant que la rivalité à la mère ne commence pas du fait du conflit œdipien mais a ses racines bien en amont, dans la relation préœdipienne à la mère et il ajoute « qu’on ne peut pas comprendre la femme si on ne prend pas en compte cette phase de liaison préœdipien à la mère ». Ainsi, la relation préœdipienne à la mère serait le prototype de toutes les relations d’amour ultérieures.

Tout porte à croire que les travaux de psychanalystes femmes contemporaines de Freud (Brunswick, Deutsch etc.) lui ont permis d’affiner sa pensée sur ce thème de la sexualité féminine. En 1931, dans De la sexualité féminine,  il reconnait implicitement que les femmes analystes peuvent mieux comprendre que lui la question de la sexualité féminine dans la mesure où elles occupent dans la cure un substitut maternel.

Je souhaiterai illustrer ces propos théoriques par une vignette clinique, celle d’une psychanalysante qui me rend visite depuis plus d’un an maintenant. Depuis quelques séances, elle évoque ce que nous appelons dans notre jargon « le rapport au phallus », le rapport d’une femme au phallus et comment le refus d’y renoncer peut se traduire dans l’existence d’une femme. Ce tournant dans la cure, car c’en est un, est apparu à la suite d’une remarque qu’elle faisait sur ses cuisses, sur ses cuisses qu’elle veut dures. Cette femme a en effet souffert il y a dix ans d’anorexie et de cette période, il lui reste un contrôle excessif de son poids, une obsession, afin de ne pas dépasser le poids que pèse sa mère, 50 kg. Cette obsession pour le poids est présente dans son discours depuis le début de la cure mais dans cette séance- ci, ce signifiant dur fut particulièrement présent. Elle dit : « je n’aime pas avoir de grosse cuisses. Je leur ai tapé dessus longtemps. Je n’aime pas qu’elles se touchent quand je marche. Qu’il y ait du gras, que ce soit flasque, mou ». Je reprends cela, « mou ? Oui, pas ferme, pas dur ». Je lui demande alors d’associer. Elle répond « ça me fait penser au sexe, l’image d’un sexe masculin, tout mou, tout petit. Le corps d’un homme en érection, c’est la puissance, le pouvoir, le contrôle, le dessus ». Je suspends là.

Elle revient à sa séance suivante et évoque un rêve qu’elle a fait la nuit suivant la dernière séance. « J’ai rêvé de mes cuisses » me dit-elle. « Je les montrais à ma mère et je lui disais t’as vu comme elles sont dures ? Puis je disais à mon père que je me souvenais de lui en érection ». Il lui parait alors évident qu’il y un lien entre ses cuisses dures et le sexe de son père en érection mais elle reste dubitative, « de là à dire que ma cuisse représente le sexe d’un homme ! » me dit-elle. Elle me dit qu’elle était impressionnée par les érections de son père qui passait devant sa porte de chambre le matin. C’était « imposant » dit-elle, ça lui évoque la « puissance ». Quand je lui demande d’associer sur cette volonté d’avoir des cuisses dures, elle me dit que c’est une question de « fierté, de force, de contrôle ». Elle me dit que depuis qu’elle a musclé ses jambes, elle se sent mieux. Ses jambes « la portent » dit-elle, lorsqu’elles sont fermes, pas quand elles se relâchent. Je reprends cela, « vos jambes sont fermes puis se relâchent alors ? ». Elle rit. Je questionne. « Oui je pense à ça. Quoi ? Le sexe. De qui ? De l’homme. Ce truc énorme qui sort de son pantalon ! C’est impressionnant ! Mais que je n’ai pas. Et que je n’aurai jamais. Le sexe en érection, c’est un signe de puissance et de maitrise. Dans mon interprétation, ils font ce qu’ils veulent avec. Qui dit maitrise dit puissance. Mais ma cuisse c‘est pas quand même le sexe d’un homme que je n’ai pas ? Non ? C’est fou, ça m’est venu naturellement. Bon admettons, mais alors si j’en avais un, si j’avais été un homme… oui ? Ils ont plus de pouvoir. Ils peuvent nous violer. C’est eux qui nous pénètrent. Est-ce que je n’aurai pas envie d‘être un homme pour avoir ce pouvoir sur les autres ? Quand je séduis comme ça les hommes ? Est-ce que c’est ça qui me manquerait ? »

Je m’arrête là pour cette vignette mais je pourrai en dire encore bien plus tant cette séance, ou plutôt ce signifiant mou, ou dur, a déclenché chez elle quelque chose de la plus haute importance. Ce fut un vrai tournant dans sa cure. Elle fit un autre rêve à la suite de ces séances ou elle-même avait un pénis, en érection. Cela ne la choquait pas dans le rêve mais elle se demandait comment elle avait fait jusque-là pour le cacher. Elle put alors verbaliser cette envie d’avoir un pénis et cette jouissance qu’elle lui associe et dont elle pense être privée. Elle a ainsi pu associer ce désir de puissance, de maitrise, à ces symptômes obsessionnels tel que son anorexie dont elle décrit merveilleusement bien la logique : « plus je perds du poids, plus je gagne du pouvoir », sur sa mère bien entendu. Cette envie de prendre le dessus sur sa mère, elle l’a traduit de son rêve où elle se voit avec un pénis, un pénis pour « dominer ». Ce rapport au phallus a permis en effet de parler sa haine envers sa mère, présente depuis l’enfance, suscitée par sa jalousie pour le père, ce père qui ne l’aime pas de la même façon qu’il aime sa mère. Cela mettra aussi au jour son traumatisme des multiples punitions corporelles que sa mère lui faisait subir enfant (coup de martinet sur les cuisses, douche froide) et le sentiment de vengeance qu’elle ressent aujourd’hui, de vouloir reprendre le contrôle, notamment par son anorexie, « je ne mange pas pour les faire chier » dira-t-elle, mais aussi ses achats compulsifs de vêtements qui lui ont couté 40 000 euros de dettes.

Ce cas clinique illustre pour moi parfaitement bien ce rapport problématique de la femme au phallus, lorsqu’elle aspire à l’avoir, à avoir ce qu’elle imagine comme du pouvoir, de la puissance qu’elle n’a pas elle, du fait de son statut de femme. Cela se traduit alors dans toutes sortes de symptômes qui ne sont là que pour combler ce qu’elle vit comme une frustration, imaginaire bien sûr. Nous devons cette théorisation du phallus à Jacques Lacan, qui permet une lecture tout à fait pertinente de l’impasse où les femmes s’engouffrent lorsqu’elle refuse de renoncer au phallus. Lacan fit du phallus le signifiant même du désir. Il revisite la théorie freudienne des stades, de la sexualité féminine et de la différence des sexes en montrant que le complexe d’Œdipe ou de castration, consiste en une dialectique « hamletienne » : être ou ne pas être, ou l’avoir, le phallus. A partir du moment où la femme refuse d’être un être manquant et s’imagine combler ce manque par toutes sortes d’objet qui ont pour fonction d’être phallus imaginaire, elle empêche son désir de l’habiter. Car le phallus est la négation même du désir, qui ne se soutient que du manque. Le but de la cure et le rôle du psychanalyste sera alors de lui permettre d’accéder à cette castration symbolique qu’elle rejette jusqu’à alors et d’accéder à sa féminité, de l’assumer et de jouir véritablement, c’est-à-dire autrement que par la voie symptomatique de la jouissance imaginaire.  

 



[1] Freud, S. (1923). L’organisation génitale infantile, in Œuvres complètes Vol. XVI, Paris : PUF, 1991, p. 308.

[2] Freud, S. (1933). Nouvelles suite d’introduction à la psychanalyse, in Œuvres complètes Vol. XIX, Paris : PUF,  1995, p. 201.

[3] Freud, S. (1925). Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes, in Œuvres complètes Vol. XVII, Paris : PUF, 1992, p. 195.

[4] Freud, S. (1931). De la sexualité féminine, in Œuvres complètes Vol. XIX, Paris : PUF, 1995, p. 18.

[5] Freud, S. (1933). Nouvelles suite d’introduction à la psychanalyse, in Œuvres complètes Vol. XIX, Paris : PUF, 1995, p. 200.

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