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Une lecture féminine du masochisme

Une lecture féminine du masochisme

 

Résumé : Il sera ici question de mettre en lumière le concept du masochisme au regard de l’identification à l’objet a, aliénation subjective qui trouve une issue dans l’expérience psychanalytique. Comment la chute de cette identification peut‑elle s’incarner dans la question du féminin, et du passage à la position de psychanalyste se faisant semblant d’objet ? Autrement dit, occuper la position de semblant d’objet a n’est-il pas l’illustration d’avoir quitté cette position masochiste d’alors, conséquence de la traversée d’une psychanalyse, psychanalyse à entendre comme clinique du sujet ?

 

 

Mots-clés : masochisme – objet a – désir – féminin – sortie de psychanalyse.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mon point de départ est le suivant : à plusieurs reprises, j’ai entendu certains patients et psychanalysants, et aussi certains psychanalystes, utiliser la formule « servir à » en parlant respectivement de leur rôle vis-à-vis de quelqu’un ou bien de la fonction du psychanalyste dans la cure. Cela m’est resté comme une question : quelle est donc cette position qui consiste à servir, si ce n’est une position d’objet ? Oui mais laquelle ? Est-il possible de servir sans s’asservir ? Et qu’est-ce que cela dit du résultat d’une sortie de psychanalyse ?

 

Concernant la position du psychanalyste, il ne s’agit évidemment pas ici d’un objet commun ni consommable. La position d’objet, qui concerne le psychanalyste, est celle d’objet a (semblant) et elle est toute particulière. Nous aurons seulement à distinguer l’identification à l’objet a et le semblant d’objet a. Voilà le fil que je souhaiterais tirer : tisser une lecture féminine du masochisme qui nous mènera du concept du masochisme à l’objet a.

 

Pour cela, j’aimerais mettre en regard quelques éléments découverts au fil de mes lectures qui m’ont amenée à réfléchir à la question du masochisme. Ces éléments se recoupent en un point qui est le lien qu’il existe entre la position masochiste et la position d’identification à l’objet a. Autrement dit, la position qui consiste à s’identifier à l’objet cause du désir de l’autre ne serait-elle pas une position masochiste ? Position sur laquelle vient précisément opérer l’expérience psychanalytique.

 

L’ordre des mots dans le titre de cet article n’est pas un hasard. L’adjectif féminin ne se rapporte pas au masochisme, à la manière dont Sigmund Freud nous a enseigné l’existence d’un « masochisme féminin »[1]. Rappelons que ce type de masochisme ne concerne pas l’être femme, au contraire. Il s’agit du plaisir des hommes à se mettre dans une « situation caractéristique de la féminité »[2] : « être‑castré, être-coïté, ou enfanter »[3]. Freud précise lui-même qu’il le nomme ainsi, féminin, de par sa signification inconsciente mais qu’il renvoie davantage à la vie infantile[4], à savoir à la mise en scène opérée par celui qui, pris de ses pulsions masochistes, cherche à être traité comme un petit enfant méchant. L’exemple clinique choisi par Freud est d’ailleurs, en l’occurrence, issu d’une clinique masculine et il s’en sert pour faire la démonstration d’une « superposition en strate de l’infantile et du féminin »[5]. Ce masochisme repose, se soutient, du masochisme primaire, érogène (plaisir lié à la douleur).

 

L’adjectif féminin qualifie donc ici non pas le masochisme mais la lecture possible que nous pouvons en faire. Qu’est-ce donc alors qu’une lecture féminine ? Le féminin, selon la proposition de Fernando de Amorim[6], est une conséquence de l’opération de la castration, issue de la traversée psychanalytique. Une lecture féminine consisterait alors à répondre à cette question : qu’est-il possible de dire à propos du masochisme – plus précisément, la position masochiste – grâce à l’expérience du divan ?

 

Le premier point de mon articulation se trouve dans l’écrit L’os d’une cure, où Jacques-Alain Miller écrit ceci :

 

« Dans la relation de couple, la femme est poussée à se fétichiser, à se symptomatiser et encore à se voiler, se masquer et accentuer ses semblants tandis qu’elle fait de son partenaire un A barré. Cela comporte que de sa jouissance elle ne sait rien qu’elle arrive à dire, qu’elle ne sait pas quoi dire de sa jouissance. De son coté, l’homme fétichise la femme au prix de s’éclipser dans son fantasme. Un homme en sait beaucoup plus sur sa propre jouissance que ne sait une femme sur la sienne. Il en sait beaucoup plus sur les détails qui conditionnent sa jouissance, mais évidemment c’est beaucoup moins intéressant. (…) le masochisme féminin n’est qu’une apparence. Le secret du masochisme féminin est l’érotomanie parce que c’est pas qu’il me batte qui compte, mais que je sois son objet, que je sois sa partenaire-symptôme et c’est tant mieux si ça me ravage. »[7]

 

Miller nous met sur une première piste : le masochisme correspond à la position d’objet à laquelle l’être accepte de se soumettre, et dont il jouit. Il s’inscrit ici dans la lignée de l’enseignement lacanien.

 

Lorsque Jacques Lacan définit ce qu’il considère comme sa seule invention, l’objet a, il nous indique que cet objet, à concevoir comme la cause du désir, est derrière le désir[8]. Et même, en « précession essentielle ». Il est donc important de le distinguer radicalement de l’objet de désir, qui lui se trouve devant le désir, et qui renvoie davantage à l’objet de satisfaction de la pulsion. En ce qui concerne le désir, satisfaction il n’y a pas. L’objet se dérobe au niveau de sa saisie[9]. Ainsi, la nature de l’objet qui vient combler le désir (phallus imaginaire) et celui qui soutient, suscite, le désir (objet a) n’est pas la même.

 

La position masochiste, si nous suivons Lacan, c’est l’incarnation de l’être lui‑même comme objet. Il s’identifie, de façon absolue, jusqu’à s’y réduire, à l’objet commun, l’objet d’échange car « il lui reste impossible de se saisir pour ce qu’il est, en tant que, comme tous, il est un »[10]. Lacan donne alors l’exemple du mélancolique qui, s’identifiant au déchet, a cette propension particulière à se jeter par la fenêtre. Ainsi, dit Lacan, « se reconnaître comme objet de désir, au sens où je l’articule, c’est toujours masochiste »[11].

 

À partir de là, que pouvons-nous entendre ? Se trouver en position d’objet (se faire objet a) ne signifie pas forcément un ravalement – masochiste – à la position d’objet de désir de l’autre. Encore faut-il, cet objet, ne pas se croire l’être.

 

Faisons un pas supplémentaire avec le deuxième élément de mon articulation, à savoir l’enseignement de Solange Faladé. Elle nous parle ici de la relation homme-femme :

 

« (…) une femme peut être cet être de jouissance et aussi, dans certains cas, être l’être aimé. Être de jouissance, être aimé, c’est-à-dire être ce reste de jouir, cet objet qui est l’être du sujet homme. Et à ce moment-là il y aura possibilité de ce qui supplée au pas de rapport sexuel, car ce qu’il y aura sera entre cet homme et cette femme qui est son symptôme, mais entendez bien, que ce qui est son reste. Elle vient là incarner ce reste de jouissance. »[12]

 

Et d’ajouter : « Donc pour un homme, cette identification au symptôme, c’est la possibilité pour lui de trouver une femme qui pourra être, être de jouissance, objet de jouissance, et dans certains cas, être aussi l’être aimé »[13].

 

Vient alors la question du côté de la femme, et là, « c’est beaucoup plus difficile » nous dit Faladé. Pour elle, « pour ce qui est de cet objet, cet objet qui est ce reste avec quoi elle a affaire elle aussi à la fin d’une analyse, ce n’est pas un homme qui viendra à cette place et qui sera symptôme. (…) Pour une femme, c’est faire en sorte qu’elle puisse, non pas être, mais faire être cet objet de jouissance, ce plus de jouir parce que dans sa formule de la sexuation [celle de Lacan] il y a bien cet objet petit a qui est du côté de la femme. »[14]

 

Elle poursuit :

 

« Bon, le a est du côté de la femme, mais ce qui est demandé à une femme, ce n’est pas de s’identifier à ce a – la femme n’a aucune raison d’être masochiste – c’est de faire en sorte de se prêter à [faire être le a], nous dit Lacan. (…) ce n’est pas de s’identifier, c’est de faire en sorte que puisse être le regard, la voix, le sein, l’excrément, tout ce qui est là hors corps, hors sens, et qui pourra être jouissance pour l’homme. C’est très important de bien saisir qu’à la fin d’une analyse tout ce qui a sens choit. Il y a ce silence, chez une femme comme chez un homme. Mais une femme, elle, doit faire en sorte que tout ce qui est du hors corps, tout ce qui peut représenter ces objets a, elle puisse les faire être. »[15]

 

Elle ajoute :

 

« Et j’ai pris soin de mettre l’accent sur le fait que l’objet a qui est de son côté et qui doit soutenir le fantasme de l’homme, elle n’a pas à s’identifier à lui. Une femme n’est pas d’essence masochiste, pas du tout. Elle ne fait que se prêter à. Et ce que de mieux elle peut faire – et c’est possible si une analyse a pu être menée à cette fin où elle rencontre ce qui est cet objet – c’est faire en sorte que puissent être ces objets hors corps, c’est-à-dire qui n’ont pas de sens. »[16]

 

[1] Freud, S. (1924). « Le problème économique du masochisme », in Œuvres Complètes, Vol. XVII, Paris, PUF, p. 14.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Formule issue de notes prises lors son enseignement oral, en 2021.

[7] Miller, J.-A. L’os d’une cure, Paris, Navarin éditeur, 2018, pp. 87-8.

[8] Lacan, J. (1962-63). Le Séminaire, Livre X, L'angoisse, Paris, Éditions du Seuil, 2004, p. 120.

[9] Ibid., p. 121.

[10] Ibid., p. 124.

[11] Ibid., p. 125.

[12] Faladé, S. (1995). « “La direction d’une cure”, Intervention aux Journées Provinciales de l’École freudienne », in Le moi et la question du sujet, Paris, Economica, 2018, p. 336.

[13] Ibid.

[14] Ibid., p. 337-8.

[15] Ibid., p. 338.

[16] Ibid., p. 342.

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