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Fiche de lecture Nicolas Guérin "Logique et poétique de l’interprétation psychanalytique. Essai sur le sens blanc"

Ravie de faire connaissance avec les écrits de Nicolas Guérin, que j’avais rencontré de visu pour un comité de suivi de thèse de Magali. Il m’avait fait très bonnes impressions. J’ai retrouvé dans cet ouvrage sa rigueur, ses compétences d’articulation et l’étendue de ses connaissances, ainsi que son esprit critique… très prononcé ! Cela dit, on sort du politiquement correct, de l’aliénation au discours d’un maître et des ressassements théoriques qui n’accouchent de rien, c’est quand même très plaisant. Il y a de la jeunesse et du désir derrière, ça se sent ! J’y ai trouvé parfois des longueurs mais bien plus souvent, une très belle poésie et surtout, une singularité qui s’exprime dans des avis tranchés et lucides sur des éléments aussi divers que la clinique ou que le milieu psychanalytique. Une très belle découverte ! J’en profite pour remercier Marine car entre Nicolas Guérin et Solange Faladé, j’ai trouvé grâce à elle des auteurs et lectures tout à fait stimulants !

 

Les avis critiques de Guérin m’ont paru, à la lecture, plus limpides que ses propositions mais pour écrire mes notes, j’ai à l’esprit de tenter d’extraire, justement, ce qu’il propose de nouveau.

 

Dans le petit mot de Erik Porge et Dorothée Muraro, avant l’ouvrage proprement dit, et à propos de la collection d’ouvrage de la Série Essaim, je relève ceci que je trouve intéressant :

« Notre objectif est, en réalité, triple : révéler les points de capiton entre la psychanalyse et d’autres disciplines, faire émerger des positions critiques, encourager d’éventuelles « trouvailles » au sens où Lacan l’entendait – non pas pour dire « plus que », mais pour proposer un « après ». » C’est une visée, pour la psychanalyse, qui rejoint mon désir d’aujourd’hui.

 

Dès l’introduction, Guérin fait une précision très juste quant à l’interprétation : « Elle est un « dire de l’analyse », et pas un dit de l’analyste, même si ce champ relève bien de l’action de l’analyste et de la responsabilité qui lui incombe quant à son savoir-faire ». Il est intéressant de noter le choix du mot action, et pas acte. Cette formule « un dire de l’analyste », je trouve, va dans la même logique qu’Amorim nous a enseignée de dégager le Moi du psychanalyste.

Guérin ajoute que l’idée que le clinicien se fait de l’inconscient dépend « d’une triple détermination, à savoir : de sa propre cure, de celles qu’il dirige, ainsi que de son travail de l’analyse en tant qu’il s’associe à celui de quelques autres dans un parcours qui lui est propre et qui n’est jamais définitif » (p. 9-10).

 

Rapidement Guérin évoque l’idée de « limite voire de coupure du sens » (p. 14). Il reprend aussi la thèse de Lacan de 64 de « l’inconscient interprète », et se demande donc si l’analyste pour interpréter doit parler la langue de l’inconscient ?

 

J’ai beaucoup appris sur l’incertitude et l’incroyance. Je retiens que « la certitude psychotique, en tant qu’elle est consécutive d’une incroyance, s’exerce là même où la croyance fait défaut » (p. 20). Aussi, « la certitude est toujours négative », « elle s’appuie sur un vide dans le signifiant ». Et, « Caricaturalement, la croyance se situe dans le champ du symbolique tandis que le couplage incroyance/certitude est au plus près du réel » (p. 18)

 

L’incroyance psychotique repose sur la forclusion restreinte (celle qui porte sur le signifiant du NDUP). Guérin évoque ici une autre forme d’incroyance, pour tout un chacun et plus précisément celui concernée par la forclusion généralisée « qui indexe une limite intrinsèque au symbolique ». « Cette limite est sensible lors de moments décisifs, bien que ses effets soient incalculables, dans ou hors la cure : angoisse, destitution subjective, traversée du fantasme ou encore reconfiguration du symptôme ; lequel symptôme est toujours l’indice (Anzeichen) et le substitut (Ersatz) de cette limite. Or si cette limite est celle du signifiant, elle n’est pas sans objet. C’est en ce point de réel que l’incroyance dont il s’agit s’associe à une certitude qui, elle non plus, n’est pas la certitude psychotique » (p. 23).

Cette incroyance, dont le paradigme selon Guérin serait le trouble du souvenir de Freud sur l’Acropole, vous a-t-elle parlé, rappelé quelque chose ?

 

Concernant la certitude, qui procède de l’incroyance donc, Guérin relève « la nouvelle sorte de certitude » chez Lacan qui trouve son gîte dans le « pur défaut du sexe » (p. 26). Guérin définit ce dernier comme « le réel impossible à saisir par le symbolique ». Il ajoute : « Point d’horreur du savoir, le réel du sexe se fonde de sa qualité de différence radicale et irréductible inhérente à sa fonction de coupure (secare). Ce pur défaut et ce vide que le langage creuse au cœur de l’être, que Lacan définissait par l’axiome négatif « il n’y a pas de rapport sexuel » et que Freud, dans sa Contribution à la psychologie de la vie amoureuse, désignant comme ce « quelque chose dans la nature même de la pulsion sexuelle » qui ne semble pas être « favorable à la réalisation de la pleine satisfaction » que le symptôme vient à la fois indexer et masquer. » (p. 26)

 

Ensuite Guérin nous dit que l’incroyance comme la certitude a affaire à l’objet et pas au signifiant. « Elle est corrélée au surgissement de l’objet lorsque les semblants qui en constituaient la chasuble sont amenés à vaciller. Elle est impliquée dans les moments de destitution subjective qui consistent « dans la chute du sujet supposé savoir et sa réduction à l’objet ». Dans les moments de désêtre de fait mais aussi dans les moments d’angoisse, angoisse qui selon Guérin, « fait toujours coupure, discontinuité temporelle, et qui survient lorsqu’un parlêtre éprouve l’imminence de sa réduction à l’obscur objet du désir de l’Autre » (p. 27).

 

Pour le psychotique, « c’est le vide énigmatique de la signification phallique (degré premier de la signification) déterminé par la forclusion du Nom-du-Père, et se présentant dans un premier temps au sujet psychotique, qui donne ensuite sa force à la certitude soit à une signification intervenant en un second temps (signification degré deuxième). Plus le vide de la signification phallique est énigmatique au sujet, plus sa certitude est grande, soit : plus c’est énigmatique, plus c’est certain » (p. 29). « Il y a donc une articulation et une proportionnalité », poursuit Guérin, entre énigme et certitude ou entre vide et certitude, d’où la « négativité de la certitude ». C’est très intéressant de le lire ainsi et cela donne, je trouve, une assise théorique à l’enseignement clinique d’Amorim concernant la vérification de la certitude.

 

Cet ouvrage m’a donné à boire et à manger sur la question du vide ! Sur la psychose il poursuit : « le vide qui donne sa force à la certitude psychotique est le vide de la signification (phallique) de ce pur défaut du sexe. La signification phallique étant la signification du défaut que le réel du sexe introduit autant dans le symbolique que dans l’imaginaire, il en résulte que, dans le cas de la certitude psychotique, le vide énigmatique, ou le défaut de la signification phallique, est un défaut au second degré. Il est défaut de la signification d’un défaut. Par conséquent, dans la psychose, une certitude recouvre l’autre » (p. 29).

 

Guérin poursuit et reprend l’incroyance et la « nouvelle sorte de certitude » qui sont selon lui liées au « progrès de la cure en tant qu’il s’oriente d’une destitution subjective qui consiste en « la chute du sujet supposé savoir et sa réduction à l’avènement de l’objet ». L’incroyance dont il s’agit ici oriente le sujet vers l’objet cause de son désir. Elle est solidaire de l’éthique de la psychanalyse ». Cette proposition est tout à fait intéressante mais je suis interpellée par cette formulation « la chute du sujet supposé savoir et sa réduction à l’avènement de l’objet ». », citée de Lacan. Elle ne me semble pas dire la même chose que « la chute de l’objet » dont nous parlons régulièrement pour la sortie de cure et qui d’ailleurs, me posait un peu question : est-ce vraiment l’objet a qui chute ? Ou l’objet a en tant que « placé dans » le psychanalyste ? La formule reprise par Guérin n’est-elle pas plus jute ? Puisque en sortie de cure, on pourrait dire aussi que l’objet a, cause du désir, celui grâce auquel l’être pour vivre à partir du manque, advient, plutôt que de chuter ?

 

Guérin parle ensuite spécifiquement de la religion et la nécessité pour la psychanalyse d’en sortir alors que la religion est inhérente, dit-il, à l’inconscient (p. 12). Il développera longuement l’idée d’un athéisme. J’ai trouvé cela tout à fait pertinent et nécessaire. Il reprend la formule de Lacan « la réalité psychique et la réalité religieuse, c’est exactement la même chose » (p. 42). C’est quand même intéressant de le garder à l’esprit, notamment en ce qui concerne le rapport au A barré ou non barré.

 

Guérin fait l’effort de distinguer croyance et religiosité, proches mais pas identiques. Pour Freud la religions est une illusion (« erreur de jugement à laquelle se mêle un souhait inconscient d’origine infantile : « l’essence même de la relation réside en un appel infantile au Père p. 47). Pour Lacan, la religion est un symptôme.

Le Père est à distinguer de l’Autre (trésor du signifiant, lieu de savoir inconscient et incomplet) et le Père se retrouve à la fois dans la réalité psychique et dans les trois monothéismes. Cet amalgame a été renforcé selon Guérin par la définition du Nom-du-Père comme le « signifiant qui dans l’Autre, en tant que lieu du signifiant, est le signifiant de l’Autre en tant que lieu de la loi ». Maleval avait alors souligné que ceci « dessinait une perspective où « l’ensemble formé par le champ du signifiant apparaît auto-inclusif : l’Autre du langage comporte en lui-même l’Autre de la loi représenté par le Nom-du-Père. La structure se recouvre et se referme sur elle-même » (p. 48).

 

Guérin soutient l’importance d’un athéisme à construire après s’est défait du « sens toujours religieux que chaque position subjective secrète dans son assujettissement à la structure » (p. 50).

 

Je note ceci concernant la répétition : « répétition d’un trait, d’une marque signifiant censée répéter la première rencontre traumatique du sujet avec la jouissance, « cette chose obscure que nous appelons tantôt trauma, tantôt plaisir exquis » (p. 51). Au fondement de la répétition donc : « un ratage, un rendez-vous manqué avec le réel traumatique ».

L’objet a se produit d’une perte consécutive « du fait que le Un (la marque qui se répète) rate la jouissance ».

Ainsi la répétition implique : « le répétant (le trait, la trace mnésique ou le Un symbolisé par tel entier naturel dans une formule de récurrence), ce qui est à répéter (la première rencontre traumatique avec le réel) et ce qui est répété, soit produit par la répétition comme élément hétérogène, à savoir l’objet » (p. 52-53). Guérin ajoute : « Néanmoins cette perte de jouissance, induite par le trait mémoriel, est récupérée sous la forme du a dans le fantasme », l’objet a du fantasme que Guérin qualifie alors d’unique partenaire du sujet ; fantasme où le sujet met en scène un Autre jouisseur dont il se fait l’instrument. « La jouissance est ainsi récupérée dans le fantasme sous la forme d’une croyance en un Autre qui existerait et qui serait supposé jouir de la castration du sujet. Croyance en un Autre qui existe donc, et qui est souvent une figure du Père ». Ici s’infiltre la réalité religieuse (du fantasme).

Guérin ajoute : « Le sens étant au croisement du symbolique et de l’imaginaire, le Père du fantasme ou de la réalité psychique est aussi bien le Père imaginaire que le Père symbolique ». Petit rappel : le père imaginaire est le père privateur, d’avant le meurtre œdipien (le père qui châtre, le père fouettard, le père qui jouit de la castration) : le père symbolique est le père mort, mortifié par le langage (le père du sens religieux, le père châtré de l’hystérique ou idolâtré de l’obsessionnel).

 

L’hypothèse de Guérin est alors que Lacan « laïcise le père en l’extrayant de sa gangue religieuse ». Mais pas question de s’en débarrasser dans cet athéisme psychanalytique, « il s’agit plutôt de le reconsidérer » (p. 54).

 

Jolie formule aussi que celle-ci : « le retour à Freud est un retour au dire de Freud » (p. 55).

 

Le père réel, agent de la castration, n’est pas la castration mais la condition de son effectivité (p. 58). Le « sens vrai du retour à Freud de Lacan » est de « viser le « centre de l’énonciation de Freud », et non pas seulement ses dits. Cette visée est celle-là même de l’interprétation en psychanalyse » (p. 59). À retenir.

 

Guérin insiste alors sur la nécessité de reconnaître ce que Lacan indiquait déjà que « le sort commun des pères est d’être châtré », condition pour l’élever à sa dimension signifiante. Guérin reprend Lacan qui déclarait que la castration (permise par le Père réel) « tient à ceci que « le père est celui qui ne sait rien de la vérité ». Il s’agit du véritable effet d’athéisme que le discours analytique rend possible » (p. 61). Il poursuit « Cet athéisme révèle non seulement que l’Autre n’est pas le Père, mais il implique également la séparation du sujet et du savoir cela pour mettre à découvert le caractère désubjectivé du savoir inconscient » (p. 62).

Il s’agit donc d’une « double disjonction » : du sujet et du savoir ; du père et de la vérité.

« Dès lors, le sujet peut supporter que l’Autre bien que manquant, ne lui demande rien. Et de là peut s’entrapercevoir que la jouissance que le sujet prêtait jusque-là à l’agent du fantasme ne s’avère, en fait, alimentée que par lui-même. Le père réel, ainsi extrait de sa gangue religieuse (disjoint du Père symbolique et imaginaire) autorise le sujet à ne plus confondre castration et privation » (p. 62). Très belle façon de définir la traversée du fantasme je trouve.

 

Le mot « traversée », Guérin d’ailleurs nous invite à l’utiliser concernant le traitement de l’angoisse (de castration)(p. 63), plutôt que « surmontement », traversée à concevoir comme une réponse à l’aporie freudienne du roc de la castration.

 

La traversée psychanalytique est la condition de « l’ascèse, dont la limite est l’athéisme » (p. 66), qui revient à ne servir aucun Dieu. Guérin reprend l’idée développée par Lacan que la véritable terminaison de l’analyse touche au « forage de l’angoisse » et à l’Hilflosigkeit freudien, point extrême à atteindre, de « désarroi absolu, au niveau duquel l’angoisse est déjà une protection » (p. 69). Guérin spécifie d’ailleurs son choix de traduire l’Hilflosigkeit par désaide et non détresse. Il ajoute ensuite ceci d’intéressant : « L’angoisse est angoisse de castration puisqu’elle instruit le sujet qu’il va faire l’expérience d’un manque. Il s’agit là justement du désaide, soit du manque de l’Autre, ce que Lacan appelle « la réalité humaine (…) où l’homme dans ce rapport à lui-même qui est sa propre mort (…) n’a à attendre d’aide de personne ». » (p. 71).

Dans son angoisse, le sujet « s’éprouve réduit à l’objet qui le cause et qui est en même temps celui du désir de l’Autre » (p. 72).

Guérin reprend ici brillamment les deux visions freudiennes et lacaniennes de la fin de l’analyse et n’hésite pas à définir l’angoisse/menace de castration ou encore le « a de l’angoisse » comme un « bouchon » qui fait barrage à « l’accès au A du désaide ». Par son fantasme, l’être impute sa propre jouissance à l’Autre pour continuer à croire qu’il existe ». C’est admirablement dit, j’ai rarement lu autant de clarté concernant la sortie de psychanalyse.

Il rapprochera également la position de fin d’analyse à l’être-pour-la-mort Heideggérien qui n’est en rien mélancolisation mais même possible satisfaction. Les effet de cette « ascèse psychanalytique », Guérin en parle aussi comme le fait « le sujet peut ainsi se confronter au désir de l’Autre sans être sur sa réserve ou sur ses gardes puisque désormais, et contrairement à avant la passe prise sur l’angoisse, le désir de l’Autre n’est plus interprété par le sujet comme un danger et confondu avec une demande ou menace de castration. L’existence de l’Autre ne se supporte plus de la supposition d’une volonté de jouissance qui fait consister l’Autre, et le sujet ne superpose plus castration et privation. » (p. 81) ; Il ajoute « éventuellement un repositionnement, voire un consentement, pour un homme comme pour une femme, à ce qui ex-siste à la castration et au champ clos de la jouissance phallique. Il y aurait à faire, pour les deux sexes aussi bien, une érotologie de la vie quotidienne du « féminin » qui poserait rien de moins que la question de ce qu’est un rapport au monde qui ne se règle pas, ou plus, tout à fait, sur la logique phallique ».

Là, j’aimerais que nous revenions là-dessus. J’avais cru comprendre – ce qui m’avait surprise car j’entendu toujours la jouissance phallique comme celle qui escamote le manque – qu’entre la jouissance phallique et la jouissance Autre, la première était celle, malgré l’adjectif trompeur « phallique », qui prenait en compte la castration, le phallus étant un opérateur malgré tout de castration (la fonction phallique est la castration). Guérin l’amène ici, comme beaucoup d’autres, comme si cette jouissance phallique justement ne supposait pas le manque. Ça me perd un peu… et vous ? Un au-delà de la jouissance phallique, dans le sens de la castration, est-ce encore de la jouissance d’ailleurs ?

 

Après avoir relevé le contre-sens de JAM, Guérin déclare : « la névrose s’institue donc comme une fuite devant cette béance centrale qui sépare à jamais le désir et la jouissance » (p. 84).

 

La critique du cliché du « déclin du père », selon Guérin n’est rien d’autre qu’une des formes névrotiques de l’appel au Père, à son autorité supposée et perdue (p. 114). Soutenant Zafiropoulos, Guérin explique ce cliché par la méconnaissance de la référence de Lacan à l’anthropologie lévi-straussienne et qui entraîne des thèses dites « évolutionnistes », s’expliquant par des bases sociologiques. Guérin ose la critique quant au débat et à la recherche psychanalytique actuels où rares sont ceux qui parviennent à « cerner l’objet d’un débat » qui impose de cerner et recouper les travaux des uns et des autres, peu importe les chapelles ou les écoles.

 

Je note aussi la critique de Guérin sur les vignettes cliniques qui sont trop souvent illustratives. Sa proposition est que « l’analyste (sa fonction, pas sa personne) doit être inclus dans le cas puisqu’il en constitue l’adresse par le truchement du transfert » (p. 140). Guérin rappelle que le cas (clinique) est « une construction où s’interroge qui l’a construit, à l’adresse de qui, pourquoi, dans quel contexte, suivant quel paradigme exact, à partir de quel support de publication ou de communication pour peu que l’on considère que le support d’un message fait partie du message lui-même » (p. 141).

Je retiens ceci que dit Guérin : « Sur un plan extensif, l’interprétation démontre que la psychanalyse, la poésie (et une certaine littérature) et la logique sont des pratiques affines en tant qu’elles poussent chacune le langage jusqu’à ses propres limites » (p. 154).

 

Concernant l’interprétation

 

Guérin reprend le modèle freudien caricatural : « L’analysant associe, l’analyste interprète. Il interprète en tant qu’il déchiffre les formations de l’inconscient de l’analysant. Mais il interprète aussi en tant qu’il communique à son analysant le sens (Sinn) ou la signification (Bedentung) desdites formations de l’inconscient. » (p. 156). À défaut de pouvoir lire en allemand, c’est bien appréciable de découvrir les spécificités des signifiants utilisés par Freud.

Guérin rappelle aussi le facteur essentiel à reprendre pour Freud pour l’interprétation : le facteur temps, coordonné au transfert. L’interprétation intervient entre la répétition et la remémoration : « Précisément, elle s’appuie et s’oriente de la répétition, qu’elle interprète, et provoque la remémoration » (p.161). Un autre facteur temps à prendre en compte est celui de la perlaboration, « le temps pour comprendre de l’analysant ».

Intéressant de noter, ce qui a donné lieu à une discussion avec Amorim, que Guérin nous invite à se méfier de considérer une interprétation juste par l’assentiment du psychanalysant. Ce n’est d’ailleurs toujours qu’une supposition et c’est la suite de la cure qui donnera raison ou non. Pour Guérin, et suivant Lacan, « la marque de l’assentiment de l’inconscient est bien plutôt un « non ». L’oublier participe de la résistance… de l’analyste » (p. 166).

 

Guérin reprend aussi avec beaucoup d’attention comment Lacan ne s’attache pas à faire de la psychanalyse une méthode à produire du sens mais bien plutôt à évider le sens (p. 176).

 

Guérin, dans une articulation d’une finesse inouïe je trouve, reprend la question du sens et de la signification pour aboutir à ce qu’il rependra chez Lacan du « tour de force du poète » et qui est selon lui l’orientation à donner à l’interprétation psychanalytique. Grosso modo je retiens que la parole pleine est du coté du sens, la parole vide du coté de la signification (la parole peine ne vaut alors pas mieux que la vide) et une troisième type de parole tressant les deux qui, dans le double sens, évide l’un des deux sens (le sens blanc) pour y mettre une signification (p. 187). C’est la « coexistence d’un sens et d’une signification, à la place d’un sens vide, que Lacan qualifie de tour de force du poète.

Guérin explique alors ce qu’est le sens et la signification, ce que j’ignorais totalement :

  • le sens d’une proposition est la propriété d’un objet (l’étoile du matin)
  • la signification c’est l’objet nommé (Vénus)

 

Le sens est extensible, fuyant tandis que la signification est stable. « La signification, en quelque sort, leste le sens » (p. 188)

 

Guérin continue sur cette troisième forme de parole qui en vient au sens blanc (le blanc par évidemment de sens) et à la « déclosion ». Il cite Lacan : « Quelque chose qui est vide se noue à quelque chose qui est vide », puisqu’il s’agit d’évider un sens et d’y mettre à sa place une signification soit un mot vide. C’est ainsi que l’interprétation doit chercher à viser autre chose que le sens, et cela a à voir avec la poésie. Ce « Quelque chose qui est vide se noue à quelque chose qui est vide » évoque à Guérin la « conjonction/disjonction de l’objet a comme reste et du phallus comme manque » (p. 223).

Il affine en ceci de fondamental : « La psychanalyse se supportant d’une double opération : de perte d’une part, où le supposé savoir se réduit à l’objet a, et de manque d’autre part, qui soutient la réalisation subjective de la castration dans la rencontre avec l’autre sexe, le –φ étant le manque fondamental de l’organe qui permettrait le rapport des jouissances dans la conjonction des sexes opposés » (p. 225).

 

En pleine lecture et réflexions sur les chapitres concernant « le sens blanc », une psychanalysante évoque le fait que pour parvenir à s’endormir sereinement, il lui est nécessaire d’écouter un « bruit blanc ». Étrange résonance. Elle l’associait à la fois à un moyen de garder (l’illusion) de parfaite maîtrise de son environnement, en « camouflant tous les autres bruit par un bruit blanc », lui permettant le sommeil. Et en même temps, ce bruit lui prodiguait visiblement une disponibilité psychique nécessaire pour former un certain vide de l’esprit, bienvenu pour s’endormir. Je ne suis pas allée beaucoup plus loin mais ça m’interrogeait, ce « bruit blanc », utilisé aussi pour les bébés.

 

Il est important de noter ce que Guérin énonce comme deux conceptions de l’interprétation voire deux conceptions de l’inconscient : celle qui consiste à mettre du sens, viser le sens, et celle qui consiste à évider le sens, « par effet de déplacement et de coupure entre des éléments hétérogènes » (p. 232).

Il ajoute : « Ce n’est pas, rappelle Lacan, la question « qu’est-ce que ça veut dire ? » qui importe mais plutôt « qu’est-ce que à dire, ça veut ? » ».

 

Guérin, reprenant JAM, répond par la négative à la question : le psychanalyste doit-il apprendre à parler l’inconscient pour interpréter. Au contraire, l’interprétation psychanalytique (du symbolique/sens vers le réel de la jouissance) va à rebours des interprétations de l’inconscient (déplacement de la jouissance vers le symbolique). Néanmoins il affine la proposition de JAM en distinguant ceci que ce n’est pas l’inconscient qui est une « machine à produire du sens, c’est la réalité psychique ».

 

Enfin, j’ai adoré la fin de l’ouvrage concernant les psychoses et leur transfert. Déjà, l’aliénation invertie : « Dans la situation ordinaire, mettons névrotique, le sujet localise dans l’Autre l’objet a qui lui manque et qui cause, du coup, à la fois son désir et l’orientation de sa demande adressée à l’Autre. Dans cette perspective, « le a est toujours demandé à l’Autre. […] ». Ce sujet « normé » se trouve donc aliéné à l’Autre, du fait qu’il lui demande l’objet qu’il n’a pas. » (p. 249). Plus loin, « le sujet psychotique, ne supposant pas à l’Autre l’objet qui lui manque, dispose de cet objet. […] c’est l’Autre qui demande au sujet l’objet qui lui manque. L’objet est toujours l’objet qui manque et le sujet psychotique reste aliéné à l’Autre. Il n’est donc pas aussi libre qu’on a tendance à le dire. Cependant cette aliénation est une « aliénation invertie », au sens littéral d’invertie », soit inversée (p. 250-251). Le transfert (psychotique) devient alors transfert de l’Autre vers le sujet, sous forme positive (érotomanie) ou négative (persécution). La situation analytique est ainsi inversée, c’est le sujet qui est en position d’objet a et pas le psychanalyste.

Guérin est très critique quant aux cures réalisées avec les psychotiques (« ravalement psychothérapeutique visant le soutien des dites suppléances p. 255), l’escamotage de la notion du sujet supposé savoir (indispensable pourtant pour qu’il y ait transfert rappelle-t-il) et de la vision toujours déficitaire des psychoses. Guérin affirme pourtant que le sujet supposé savoir a bien lieu avec le psychotique et que le psychanalyste ne se réduit ni au petit autre ni à l’Autre jouisseur ni à l’Idéal du moi. Guérin fait alors honneur à Jean Allouch qui selon lui est le seul à proposer « une véritable clinique des psychoses qui ne cède en rien sur la psychanalyse » (p. 260). Guérin reprend l’analogie d’Allouch de la spécificité du transfert psychotique avec la situation du contrôle (structure tierce). L’important à retenir est la responsabilité du clinicien, dans un transfert de ce type (transfert de l’Autre et pas à l’Autre) de parvenir à faire une « véritable adresse transférentielle », transfert à l’Autre et au sujet supposé savoir. Cette structure qui n’escamote pas le SsS est du même ordre que ce qui se passe dans un contrôle. Guérin semble aller dans le sens de la nécessité, aussi pour le psychotique, d’une « interprétation séparatrice donc, qui vise un blanc dans le sens et trouve une autre résonance que le sens » (p. 268). Que vous évoque, pour la clinique, ce type d’interprétation qui situe le sens blanc ?

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