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Fiche de lecture Elisabeth Geblesco - Un amour de transfert"

Pour être honnête, j’ai clairement résisté à la lecture de ce texte (c’est assez rare) tellement il condensait en lui-même beaucoup de ce qui m’est difficilement supportable dans le monde psychanalytique : l’aveuglement au transfert et à la parole d’Un mis en position d’exception, les effets d’amour-haine entre frères (ou sœurs) rivaux (fussent-il des frères de psychanalyses), l’identification, la séduction, l’aliénation au final et l’inhibition de la pensée. Mais quoi de plus psychanalytique me direz-vous ? Oui, mais de la part de psychanalystes et de Lacan lui-même, j’en perds mon latin. Ça enfonce le clou d’une remise en question personnelle importante. Cela étant dit, tout cela est bienvenu et ce texte me donne aussi un outil de travail, à penser et à élaborer sur ce qui finalement concerne le fonctionnement psychique en lui-même.

 

Un amour de transfert ce n’est rien de le dire… je ressors de cette lecture en me disant quelque chose de l’ordre de : « je n’ai pas compris ce que je viens de lire ». Une forme d’étrangeté, en tant que ça soit si peu résolu, si présent, mais évidemment aussi, quelque chose de tout à fait familier : le transfert, l’amour, la haine aussi. Geblesco nous témoigne (et je salue son courage et le travail en lui-même qu’a été cette prise de notes, avec autant d’honnêteté de sa part) de tous les mouvements psychiques qui ont à mon avis davantage lieu dans une cure que dans un contrôle. À quoi rime finalement ce contrôle ? C’est une énigme tout de même. J’ai noté si peu d’apports cliniques. Nous y voyons cependant le travail (important et sérieux) de Geblesco d’articulation théorique, de théorisation même. Mais c’est tellement pris dans sa névrose, si peu résolue c’est flagrant. Quand bien même elle nous précise furtivement l’abandon par son père dans un cinéma (quelle horreur), ce qui peut nous donner quelques pistes d’interprétation évidente sur son rapport au père, il n’en reste pas moins qu’intellectuellement elle sait des choses mais émotionnellement ça ne lâche pas. La figure, nécessaire du père, que lui prodigue, voire même entretient Lacan, nous est livrée en pâture. Là où ça me laisse encore davantage perplexe, c’est qu’il s’agit encore pour elle d’un père œdipien. Je ne suis pas d’accord avec ce qu’elle avance de sa résolution du transfert et ce qu’elle tente d’indiquer à Lacan quant à ce qu’il aurait pu jouer pour elle de l’Autre. Je crois justement que le transfert peut continuer avec un psychanalyste, peu importe lequel, une fois l’œdipe résolu, le fantasme traversé et la destitution du psychanalyste opérée, du fait du transfert à l’Autre (barré évidemment, le transfert à l’Autre non barré relève d’une psychothérapie et du début d’une psychanalyse). Le transfert à l’Autre barré, il suppose que n’intervient plus ni séduction, ni demande de validation (validation qui ici n’est même pas validation de la technique mais généralement de la pensée elle-même de Geblesco, ce qui est problématique), ni demande tout court finalement et en premier lieu celle d’amour, et de la part du psychanalyste, pas de réponse comme le fait ici Lacan. Ce texte m’aide finalement à concevoir qu’est-ce qu’un contrôle ? Quel est le transfert qui devrait animer celui qui s’y rend finalement ? Geblesco ne témoigne pas ici, quoi qu’elle en dise, d’un transfert à l’Autre barré (à certains moments nous pouvons déceler qu’elle s’y efforce) mais d’un transfert amoureux œdipien. C’était à tant de moments grotesque, d’où cette impression de « mais qu’est-ce que je viens de lire ? ». Je ne répertorierai pas tous les moments presque indécents (c’est si œdipien finalement) mais tout de même, quelques perles :

  • « Mais je ne voudrais pas lui paraître la débile affectueuse ou la disciple hystérique au transfert copieux » (p. 31)
  • « C’est quand même merveilleux de s’entendre dire par LACAN, l’être que j’admire le plus parmi les vivants, qu’on est une bonne analyste. » (p. 53)
  • « Une rencontre s’est vraiment produite en nous, à un niveau très profond. Je me sens justifiée en existence » (p. 107).
  • 107 : Geblesco évoque juste après le « calme contentement éprouvé en sortant de J.L. Comme si quelque chose s’était guéri en moi. Je pense que c’est l’Œdipe ».

J’ai conscience que je fais de l’interprétation sauvage mais tout de même, l’Œdipe ne se résout pas par substitution, par remplacement d’un objet par un autre, cet objet, ce père, fut-il Lacan ou le transfert à Lacan.

  • « Je ne l’ai fait que pour obéir à Lacan » (p. 127)

 

Page 58, Geblesco indique comment elle n’approuvait pas ses contrôles antérieurs qui la renvoyaient perpétuellement à elle. Même si cela me rappelle le cas qu’Amorim nous décrit souvent, du kleinien qui ramenait tout à lui et le patient qui amène son revolver, je crois quand même qu’en l’occurrence dans ce contrôle avec Lacan, il aurait été bienvenu de lui signaler de régler son œdipe quelque part. À beaucoup d’endroits cependant, nous distinguons tout de même (et heureusement!) un Lacan qui se décale de ce transfert amoureux : « Lacan ouvre les yeux qu’il avait fermés pendant mon péan » p. 59). Il ne répond souvent pas. Il use de séances ultra courtes. Mais si son insistance à ce qu’elle revienne aussi souvent a pour fonction qu’elle le lâche, force est de constater que ça ne fonctionne pas ! Geblesco interprète régulièrement les invitations, de Lacan, ses poignées de main, son regard, comme de l’amour en retour. Etait-ce le cas ? Mystère.

 

  1. 63 Geblesco indique l’incompatibilité entre analyse et prise d’hallucinogènes. Intéressant.

 

Le texte en lui-même est aussi un outil à penser le féminin et le masculin, en tout cas la fonction qu’une femme peut prendre auprès d’un homme, qu’elle aime. Elle cherche à lui plaire, à l’intéresser, à le distraire avec des livres, des articles, des références qui pourraient servir à Lacan et le faire avancer dans sa pensée. C’est en effet très singulier des positions de femmes, de soutien, d’objet a ?, dans l’ombre d’un homme mis en position supérieure, puissante mais dont elles tenteraient de participer à son pouvoir. C’est un jeu autour du phallus, Geblesco n’en est parfois pas dupe. La présence et la fonction de Gloria pour Lacan me renvoient aussi à ce constat. P. 229-30, voilà qui est plus clair : « Il me semble qu’il me regarde avec une imploration, comme l’homme demande à la femme qui l’a porté de le protéger de la mort. Elle ne peut pas, c’est là sa castration symbolique. Et pourtant, que j’aimerais lui donner à nouveau, puisque je suis femme, cette vie et cette puissance qu’il me demande. »

 

Régulièrement aussi dans ce transfert nous trouvons chez Geblesco : Lacan ou rien. Les autres à part lui sont nuls. C’est ce qui transforme à mon avis le transfert en aliénation.

 

J’ai noté l’emploi de l’écriture « phantasme ». J’avais oublié en effet cette écriture que j’avais déjà lue. En cherchant dans le dictionnaire, je lis alors que les deux écritures sont possibles et que celle avec « ph » concerne uniquement le fantasme inconscient. Pourquoi cette écriture a-t-elle été autant évacuée ? Les descriptions de Lacan sont précieuses bien que je me dise qu’il ne faille pas les prendre au pied de la lettre. La description de son cabinet, du rôle de Gloria, des autres analystes présents. Le rôle que Lacan joue dans le transfert de Geblesco me questionne. Pourquoi la valide-t-il en permanence à ce point ? La revoir seulement quelques minutes pour juste qu’elle obtienne validation, à quoi ça rime ? Payer une telle somme pour parfois 2 ou 3 minutes, à quoi cela rime-t-il aussi ? Je peux l’entendre pour une séance de psychanalyse mais pour un contrôle ? Je trouve cela clairement abusif quand ça devient une ritournelle. Et son obsession à elle sur le temps qu’il prend avec elle… Elle répond partiellement à la raison qui la fait supporter cela : l’argent, c’est (selon elle) ce qui intéresse Lacan, donc elle s’y prête. Tout aussi questionnant. Et cette répétition de « qu’est-ce que vous êtes gentille » ? Je serai tentée de penser que Lacan lui signifiait quelque chose, si cela m’arrivait à moi que mon psychanalyste (ou contrôleur) me répète à chaque contrôle la même phrase, je me poserai des questions !! Elle non, elle le prend pour argent comptant. Mais Lacan n’avait peut-être aucune intention clinique derrière. C’est énigmatique. Son insistance à ce qu’elle revienne, autant, alors qu’elle a déjà tant d’excitation palpable à aller le voir… techniquement je ne saisis pas. Il est difficile de ne pas le lier au déclenchement de sa maladie. L’effet de l’Autre non barré sur le corps… il faudrait vraiment y réfléchir.

 

Je suis étonnée aussi de deux choses : l’usage du mot « client », et les séances interminables de Geblesco. Je suis étonnée que Lacan n’en dise rien. Je pensais qu’il était bien plus courant que les analystes de l’époque fassent usage des séances lacaniennes, apparemment non. Surtout à un moment donné où Lacan lui usait des séances ultra courtes. Pourquoi Geblesco reste-t-elle à 45 min ? Un cas cependant lui pose légitimement question et lui ouvre les yeux sur la lourdeur de ces 45 minutes imposées (p. 184). Elle pose une question d’ailleurs très pertinente car souvent perçu comme tel par le patient : « Je ne voudrais pas que d’abréger ait l’air d’une sanction. » Le fait est que nous n’abrégeons pas, justement, mais elle qui a un cadre fixe de séance, forcément c’est problématique de changer de méthode. Son idée de formulation au patient est d’ailleurs pertinente ! Cela me fait penser à une supervision de groupe avec Caroline Eliacheff le mois dernier. Une collègue amenait un cas où finalement le patient faisait comprendre à la clinicienne que les séances sont trop longues ! 45 minutes ! Evidemment ! La clinicienne n’y avait même pas pensé. C’est intéressant d’en voir l’effet dans la clinique.

 

À certains moments, Geblesco parvient à changer son positionnement. Déjà car cela se construit, mais il est évident que le manque de psychanalyse personnelle ne permet pas ce genre de transformation subjective. Nous apprenons dans le texte à un moment que Geblesco considère son contrôle comme une auto-analyse. Cependant, j’observe une chose intéressante et qui renvoie au travail psychanalytique dans ce qu’il a de plus précieux, c’est cela ce que j’appelle un changement de positionnement, lié à la chute du transfert : elle vient parfois simplement parler à un Autre. Je m’explique. Il y a beaucoup de séances de contrôle qui témoignent qu’elle vient parler, seule, face à un mur ou presque. Elle les supporte, parfois mal car le transfert œdipien redouble mais parfois, elle le prend comme tel et là, c’est à mon sens, de la psychanalyse. C’est en tout cas ce qui me parle intimement le plus et qui à mon avis concerne réellement la destitution subjective du patient et du psychanalyste. La personne du psychanalyste n’est absolument plus concernée, ne reste que sa fonction. Et le déroulement des séances, avec la fonction du psychanalyste, peu importe sortie de cure ou non, cela opère, cela continue d’opérer. Je pense à beaucoup de moments, quand bien même (j’en ai témoigné il y a peu dans mon mail), le moteur évidemment le plus efficace n’étant plus (celui de souffrir) et le désir qui pousse aux séances s’en trouvant entravé, pourtant, bien des fois encore ce lieu des séances, pour moi, reste le seul où ma parole, à certains moments précis, doit être dite pour prendre le poids qu’elle doit prendre. La semaine dernière, une psychanalysante me l’a témoigné aussi. Elle appelle pour une séance supplémentaire. « Bien sûr venez ». Elle vient, elle dit qu’elle s’est dit en se levant le matin suite à une nuit compliquée « Il faut que j’appelle Mme Mortimore, il faut que je le dise ici ». Ça m’a vraiment renvoyé à ce que je considère comme proprement de la psychanalyse : ce n’est plus le psychanalyste qui est le supposé savoir, ce n’est plus une demande à l’autre, c’est faire exister un lieu, en lui-même, qui soit juste la métaphore d’un lieu d’un dialogue avec cet Autre en soi. C’est juste venir dire quelque chose à soi-même d’une façon et dans un cadre très spécifique. J’espère être claire dans ce que j’avance et que vous voyez de quoi je parle, c’est la première fois que je le formule ainsi mais c’est je crois quelque chose de très important à saisir dans le parcours d’une cure.

 

Pour ce contrôle, je trouve intéressant de voir comment Geblesco peut accéder, mais rester en même temps ou consécutivement rattrapée par la personne de Lacan, par ce qu’il représente pour elle qui n’est plus de l’ordre d’un Autre barré. Ce qui me renvoie aussi directement à mon propre journal que je tiens de mes supervisons puis contrôles, il n’y a pas un mot sur la personne, le regard, la poignée de main d’Amorim etc. Rien à part la technique psychanalytique. Amorim y est aussi pour beaucoup dans cette non ambiguïté qu’entretient là Lacan.

 

Nous apprenons que Geblesco tombe malade. Je m’éviterais d’interpréter mais je note : « Je ne dissimule pas qu’il n’est pas étranger à ma maladie » (p. 135). Elle n’en dira pas beaucoup plus, si ce n’est avoir voulu être « l’enfant merveilleuse » de Lacan (p. 137).

Je note néanmoins aussi ceci qui crève les yeux : « Seule la maladie m’a empêchée de lui obéir et d’être là quand il le voulait » (p. 212). La fonction même du symptôme…

 

Pourquoi Lacan en fait-il autant ? Pourquoi si peu de retenue parfois ? « Quand je lui déclare, sans penser à ce que je dis, qu’il m’a beaucoup manqué, ainsi que les séminaires (tant pis pour la neutralité analytique, il sait bien, il ne sait que trop, que je l’aime!), il répond, avec une spontanéité qui me fait chaud au cœur, que je lui ai manqué aussi. » (p. 136). Que se passe-t-il ici ? Et si Lacan se laisse alors aller à une relation amicale, voire amoureuse, comment éthiquement accepter d’être payé pour ce qu’il fait ?

 

Les seules perles transmises par ce contrôle :

  • de Lacan. « Nous sommes quand même là pour forcer les résistances » (p. 45)
  • de Geblesco : à propos d’une séance « J’introduis la loi » (p. 79)
  • « Le maximum de la jouissance pour la femme serait la castration de l’homme » (p. 99). Nous retrouvons ici le Penisneid versus l’angoisse de castration chez l’homme. C’est une question importante pour notre discipline : est-ce la femme qui cherche à châtrer l’homme ou l’homme qui a peur qu’une femme la lui coupe ? C’est à cette question que nous avons aussi à faire, à mon avis, dans les écoles de psychanalyse y compris la nôtre. La rencontre des fantasmes…
  • 133 : la rivalité est liée au désir d’être l’objet du désir de l’Autre
  • 142 c’est intéressant même si curieux de voir que Geblesco envoyait ceux qui venaient la rencontrer après un premier rdv chez quelqu’un d’autre pour qu’ils « éprouvent » leur transfert. Sous-entendu pour être sure que l’analyse va fonctionner, il faut un transfert indéfectible. Quelle importance donnée au transfert ! Mais au transfert sur l’analyste ! C’est oublier que Lacan nous a légué que le transfert, c’est l’amour du savoir.
  • 175 Geblesco dit que l’analyse sert à « trouver une voie de sublimation pour l’œdipe et de… dérivation, de suppléance au non-rapport sexuel ». Sublimation n’est pas castration, Faladé nous l’avait bien rappelé aussi. Faladé qui recevra d’ailleurs, nous l’apprenons aussi, Geblesco en contrôle (simultanément d’avec Lacan donc si j’ai bien compris ?)
  • 176 : « D’après votre séminaire, la castration, la béance fondamentale, c’est que l’Homme ait besoin de l’imaginaire pour saisir le réel »
  • l’importance qu’elle accorde à la castration symbolique « la seule, la fondamentale. Il acquiesce avec grande force. C’est une formulation qui me tient à cœur. Elle vient de ma praxis » Elle assimile la différence des sexes avec la castration imaginaire majeure et l’accepter serait l’accès à la castration symbolique.
  • 220 : l’être humain ne renonce jamais à l’inceste dans l’imaginaire

 

  1. 221, elle décrit Lacan comme « celui qui est faisant fonction de signifiant », comment entendez-vous cela ?

 

Septembre 81 approche et le texte nous rapporte, de plus en plus, l’état de santé de Lacan et les inquiétudes de Geblesco en miroir. C’est historiquement intéressant et touchant de savoir comment Lacan, éprouvé par les conflits de la dissolution de 80 et la désertion dans son cabinet, continuait malgré tout à recevoir, à travailler.

 

Pour la petite histoire, j’ai aussi appris que Miller avait été en cure avec Melman !

 

Je n’ai pas bien compris le distinguo qui semblait important à Geblesco entre métaphore et métonymie. Et vous ? Par exemple, elle a travaillé sur les statuts de l’Ecole pour « qu’ils ne soient métaphoriques mais métonymiques » (p. 247).

 

 

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