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Angoisse, jouissance et objet a

La théorisation de l’angoisse, nous la devons tout d’abord aux travaux de Sigmund Freud, l’inventeur de la psychanalyse. Dans son œuvre, elle connaît plusieurs remaniements et même, un tournant majeur.
 
Au début de son élaboration, Freud pense que la cause du refoulement est de l’ordre d’une conscience morale, une censure et que la conséquence du refoulement est l’angoisse. À partir du « petit Hans », la problématique de l’Œdipe et de la castration organise le concept du refoulement et impacte directement la métapsychologie freudienne, jusqu’à la création même du concept du Surmoi. Un tournant théorique majeur intervient dans le texte Inhibition, symptôme, angoisse[1] qui inaugure la seconde théorie de l’angoisse : ce n’est plus le refoulement qui vire à l’angoisse mais c’est l’angoisse (de castration) qui déclenche le refoulement, plus précisément le refoulement originaire (Urverdrängung), à l’origine de tous les autres refoulements, dits secondaires. Peur d’être dévoré, mordu, phobies d’animaux, peurs imaginaires sont à ramener à l’angoisse de castration qui, elle, est une peur devant un danger tenu pour bien réel. L’angoisse a ainsi une fonction de signal, donné par le Moi face à la menace de castration. La castration est, pour Freud, la construction psychique imaginaire que produit l’enfant pour expliquer l’absence de pénis chez la fille. Il s’agit donc d’un fantasme, auquel est intriquée la formation du symptôme qui est une expression déformée de l’angoisse de castration qui trouve alors un autre objet. Par exemple, dans le cas de la phobie du « petit Hans » : être mordu par un cheval au lieu d’être castré par le père. Freud écrit alors : « La formation de substitut a deux avantages notoires, premièrement en ce qu’elle esquive un conflit d’ambivalence, car le père est en même temps un objet aimé, et deuxièmement en ce qu’elle permet au moi de suspendre le développement d’angoisse. »[2] Le symptôme vient recouvrir, et donc voiler, l’angoisse. Le refoulement est ainsi une protection – « le moteur de la rébellion du moi »[3] – contre l’angoisse.
 
L’angoisse va de pair avec la crainte de perdre un objet hautement investi de libido et donc avec la croyance de l’avoir possédé. Le prototype de l’angoisse est l’état de détresse du nourrisson en l’absence de sa mère face au débordement de l’excitation pulsionnelle qu’il ne peut gérer. Le nourrisson fait alors l’expérience que sa mère vient à son secours et lui donne la possibilité de décharger ses pulsions. Cette expérience, qui se répète, fait de la mère un « objet maternel » capable de soulager ses tensions. Ce sont ces premières situations de satisfaction qui créent l’objet. L’angoisse est tout autant liée à la crainte de perdre effectivement l’objet (maternel) qu’à la conséquence de cette perte, à savoir la mort. La détresse biologique du nourrisson impose en effet qu’un autre s’occupe de lui pour qu’il puisse survivre. Pourtant, cette angoisse, nous la retrouvons dans les cures d’enfants, adolescents et adultes qui ont largement dépassé ce stade de l’immaturité physiologique. Alors, de quoi s’agit-il dans cette angoisse ?
 
Freud nous a enseigné que c’est l’angoisse de castration à la phase phallique du développement libidinal qui réorganise l’ensemble des différentes pertes et expériences de séparation de l’enfant. Autrement dit, l’angoisse de castration s’alimente des angoisses des précédentes pertes jusqu’à l’émergence de l’angoisse ultime dans le développement psychique, l’angoisse devant le Surmoi, instance psychique résultant de la liquidation du complexe d’Œdipe. Freud récapitule les différentes formes d’angoisse propres à chaque stade de développement : « Le danger de la détresse psychique correspond à l’époque d’immaturité du moi, et, de même, le danger de la perte de l’objet correspond à la dépendance des premières années de l’enfance, le danger de castration à la phase phallique, et l’angoisse devant le surmoi à la période de latence. »[4]
 
La menace de castration a pour fonction de faire renoncer l’enfant à ses désirs incestueux. La castration est le prix à payer pour renoncer au désir œdipien. Freud signale que « ce qui compte avant tout, ce n’est pas que la castration soit effectivement pratiquée ; ce qui est décisif, c’est que le danger est un danger menaçant de l’extérieur et que l’enfant y croit »[5]. Si pour le garçon, trompé par son organe, l’angoisse de castration renvoie à la crainte de perdre son pénis, pour la fille il s’agit plus directement de la crainte de perdre l’amour. Ces conditions d’angoisse répètent la situation de « l’originelle angoisse de la naissance, qui signifiait bien, elle aussi, une séparation d’avec la mère »[6]. L’angoisse de castration en fait de même puisque la perte du pénis a bien pour conséquence l’impossibilité de réunion avec la mère dans l’acte sexuel. Le lien est alors directement établi entre l’angoisse de castration et le refus de se séparer de la mère.
 
L’instauration du Surmoi suppose que la menace de castration, attribuée d’abord aux parents, soit introjectée dans l’appareil psychique de l’être lui-même, en termes d’interdit régulateur et civilisateur. Le Surmoi civilise le Moi et le prémunit du danger de la castration. Il en est le gardien, à la fois gardien du souvenir de la menace mais aussi l’agent de sa possible réactualisation. Il ordonne les pulsions et permet le respect des interdits, le tout premier étant l’interdit de l’inceste. La menace de castration et l’angoisse qui va avec (angoisse devant un danger réel) sont au fondement même de la garantie de l’interdit de l’inceste. Après la période de latence, l’angoisse devient plus impersonnelle, le danger étant lui-même plus indéterminé. L’angoisse de castration évolue ensuite en angoisse morale, sociale et le Moi redoute la punition du Surmoi, « forme dérivé de la punition de castration »[7].
 
S’il est important de rappeler le rôle du Surmoi, civilisateur, c’est pour mieux en dégager la spécificité par rapport à la résistance du Surmoi (organisation intramoïque) tyrannisante, spécificité que Fernando de Amorim a souligné à juste titre, et nous verrons le lien que cette tyrannie entretient avec l’angoisse.
 
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Jacques Lacan, lecteur de Freud, repère dans la théorie freudienne deux niveaux d’angoisse :
  • l’angoisse comme réaction à une perte, celle liée à la séparation d’avec la mère qui satisfait sans délai les besoins du nourrisson en détresse.
  • l’angoisse de castration, réactualisée à la phase phallique, qui est un signal face au danger de la castration.
 
Dans les deux cas, l’angoisse est articulée à la perte d’un objet (la mère ou le phallus).
 
Lacan déplace le lieu de l’angoisse et ne l’articule pas à la perte mais au désir de l’Autre, à l’objet cause du désir – qu’il nomme objet a – et au fantasme. L’angoisse est un affect, désarrimé des signifiants (représentations sexuelles) qui eux sont refoulés. Elle a évidemment un lien avec la pulsion qui ne trouve pas sa satisfaction pleine et entière. Freud avait vu juste, l’angoisse a à voir avec la pulsion qui ne trouve pas sa satisfaction puisque l’objet ne case jamais totalement avec le but (voir schéma de la pulsion de Amorim[8]).
 
Rappelons d’ores et déjà l’avancée lacanienne selon laquelle « le désir de l’homme est le désir de l’Autre puisque l’être est intéressé par ce qui manque à l’Autre »[9]. Ceci a directement à voir avec la jouissance et la fonction de l’angoisse puisque c’est à partir du manque dans l’Autre que peuvent s’éveiller angoisse et jouissance. L’angoisse vient signaler là où se situe la jouissance ; elle révèle à l’être là où il tente de jouir, c’est-à-dire là où il tente de s’éviter le manque. La jouissance est une tentative, une quête dans laquelle le Moi s’acharne et s’aliène mais elle rate, toujours. La jouissance, dans une répétition de la perte et de l’apparition de l’objet désiré, n’est que répétition du voile qui cache la béance jointe au désir. C’est ainsi que l’angoisse révèle aussi la fonction de l’objet a ; elle signale l’appel de l’être à céder l’objet qui fournira la cause de son désir. Cet objet n’existe pas, sauf à manquer. L’angoisse est la traduction subjective de la quête (vaine) de l’objet perdu.
 
L’angoisse est la conséquence du rapport impossible entre l’être et l’objet. Elle rappelle à l’être sa dépendance aux signifiants et la perte qu’il a subie par sa soumission au langage. L’objet se crée en effet de cet écart qu’il existe entre la demande (et donc le langage) en rapport au besoin qui la suscite. Le désir se perd dans le langage à travers la demande. Le phallus viendra justement s’inscrire comme « le signifiant de la distance de la demande du sujet à son désir »[10]. Le désir de l’être est manque. Il se soutient d’une place vide, conséquence d’une perte. Lorsque l’être, et plus exactement son Moi – par une relecture imaginaire de son histoire, par ses fantasmes – croit en un objet perdu – et qui dit objet perdu dit objet autrefois possédé – et se met à croire que son désir, son existence ou son bonheur dépend d’un objet, il se leurre et s’angoisse. C’est d’ailleurs ce leurre qui le rend dépendant d’un Autre tout-puissant. L’angoisse surgit précisément lorsqu’un objet – qu’il prenne source dans un besoin, une demande ou un désir – vient occuper l’espace de cette place vide, lorsque quelque chose, n’importe quoi vient apparaître à la place qu’occupe l’objet cause du désir[11]. Autrement dit, lorsque le manque vient à manquer. Lacan relie l’angoisse et le rapport de l’être à l’objet du désir – la tentation – et nous indique qu’« il ne s’agit pas de perte de l’objet, mais de la présence de ceci que les objets, ça ne manque pas »[12], et « si tout d’un coup ça ne manque pas, c’est à ce moment-là que commence l’angoisse »[13]. L’angoisse apparaît quand quelque chose apparait à la place du –φ (place du manque).
 
À cette place, c’est le rien et pour la nommer, Lacan a choisi « objet », avec toute l’ambiguïté du mot « objet » puisqu’il ne s’agit pas d’un objet commun, saisissable. Rien ne vient à représenter l’objet : aucune représentation, ni image, ni objet. Le a est le reste de la division subjective, le reste qui résiste à l’épreuve du langage et qui fait du sujet un sujet de désir puisque, en tant que reste, il est « le principe qui me fait désirer, qui me fait désirant d’un manque – manque qui n’est pas un manque du sujet, mais un défaut fait à la jouissance qui se situe au niveau de l’Autre »[14]. L’objet a est cause du désir, en tant que signe d’une jouissance perdue.
 
Lacan a nommé différentes formes d’objet a – ce sont des tentatives de présentations – qui, dans l’Imaginaire, peuvent se confondre avec l’objet perdu. Puisqu’il n’y a rien et que c’est insupportable pour le Moi, celui-ci s’organise pour se tromper en élisant des objets de son choix pour éviter de se confronter au fait qu’il n’y en a aucun pour soutenir son désir. Alors, le Moi se met en route pour récupérer ce qu’il a soi-disant perdu. Croyant œuvrer pour son salut, il s’angoisse davantage puisque par cette opération, c’est le désir lui-même qui est malmené, puisque le désir est manque. L’angoisse concerne ainsi le Moi qui s’agite face à la croyance qu’il va perdre quelque chose de précieux – à vrai dire, il a déjà vécu cette perte (avec le placenta, le sein, ses excréments, l’amour exclusif du parent). Aucun de ces objets ne lui a jamais appartenu, mais le Moi y croit très fort car la séparation le leurre d’une éventuelle propriété qui aurait été sienne. Ce leurre conduit le Moi à chercher la complétude mais si celle‑ci était possible (jouissance), elle ne viendrait que rendre inconsolable les pertes antérieures et affirmer la dépendance ultime à un objet. Il n’en est rien : la dépendance, oui, mais pas à un objet, sinon l’objet a, cause du désir. L’angoisse est un signal, mais pas celui d’un manque ; elle est la manifestation d’un défaut de cet appui indispensable qu’est le manque. Tout comblement (imaginaire) possible – c’est la jouissance – fait surgir l’angoisse. L’angoisse est donc la conséquence du gonflement imaginaire et du fantasme qui voile la condition même du désir qui est celle de manquer. Elle est reliée à l’Imaginaire, mais pas seulement. Si le Moi s’aliène d’un objet imaginaire perdu, l’être lui est conséquence d’une perte liéé à l’Autre, au Symbolique. Ainsi, l’angoisse est signal de la fonction de l’objet a qui tarde à se faire reconnaître du Moi. L’objet a concerne le Réel en tant qu’il désigne ce qui ne peut se dire, ce qui est hors symbolisation. Il est inarticulable par la parole et aussi hors de toute représentation. Il glisse entre les signifiants, il est non spécularisable, il échappe, toujours. Ainsi, le a est à l’intrication même de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel et l’angoisse résulte d’une mise en scène imaginaire de l’incomplétude du Symbolique. Par conséquent, nous pourrions dire que l’être se perd deux fois, une fois par sa dépendance à la Loi symbolique (il ne sera à jamais que représenté par les signifiants), une deuxième fois par son aliénation imaginaire et ce, jusqu’à ce qu’il puisse reconnaître que la perte qu’il refuse est la condition même de son parlêtre et cause de son désir. Ainsi, Lacan l’invite davantage à se « mettre dans la conséquence de la perte, celle qui constitue l'objet a, pour savoir ce qui lui manque »[15].
 
L’angoisse est le signe du désir de l’Autre, d’où résulte une incertitude de ce que me veut l’Autre. Lacan rappelle que « la fonction angoissante du désir de l’Autre était liée à ceci, que je ne sais pas quel objet a je suis pour ce désir »[16]. L’angoisse est une conséquence d’une négation de la fonction de l’objet a (effet de la castration symbolique), qui laisse l’être dépendant de l’Autre et par conséquent, la proie d’un grand Autre non barré, tout-puissant dont il s’imagine en devoir de lui répondre. Là où la distinction de Amorim quant à la résistance du Surmoi est fondamentale, c’est qu’elle permet de nous donner une lecture de ce qui se joue dans l’appareil psychique et de l’entrelacement de l’angoisse au symptôme et à la jouissance. Le désir, coupé de son objet a, est mis à mal. Par la puissance de l’Imaginaire, l’être se leurre d’un objet dont il aurait besoin pour vivre. À ce moment-là, la disjonction opérée par l’objet a entre le désir et le lieu de la jouissance n’est plus, la jouissance s’impose au Moi par l’injonction du grand Autre non barré à jouir. Les organisations intramoïques (résistance du Surmoi et grand Autre non barré) se déchainent et ordonnent cette jouissance, folle, organisée par le fantasme – lieu où l’être confond sa jouissance et son désir, la jouissance n’étant pas promise au désir. Le fantasme du névrosé interprète le désir de l’Autre dans une demande. Ce n’est rien d’autre que cet Autre non barré du fantasme et sa demande qui sont incorporés dans les organisations intramoïques.
 
Ainsi, Lacan opère un renversement dialectique de l’articulation freudienne en faisant de la castration non pas une menace à redouter mais un appui fondamental au désir. Il n’en élude pas moins le ressort fondamental du renoncement à la jouissance. Un même renversement est à prévoir concernant l’angoisse : ce n’est pas la nostalgie du sein maternel qui provoque l’angoisse mais son imminence[17]. Là où ça ne manque pas, le Moi est secoué par l’angoisse : « (…) si ça s’allume au niveau du moi, c’est pour que le sujet soit averti de quelque chose, à savoir d’un désir, c’est-à-dire d’une demande qui ne concerne aucun besoin, qui ne concerne rien d’autre que mon être même, c’est-à-dire qui me met en question »[18].
 
Ce sont les conséquences même de la confusion de l’être entre désir et jouissance, entre objet cause de désir et objet de désir qui viennent se dire en symptômes, angoisse ou autres inhibitions et qui amènent l’être en souffrance à pousser la porte du psychanalyste. Quelles situations cliniques peuvent alors nous éclairer ?
 
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Cliniquement, nous reconnaissons l’angoisse dans l’empêchement de certains patients, peu importe leur structure psychique, à obtenir ou réaliser ce qu’il souhaite – amour, travail, enfant, bonheur. Peu importe l’objet désigné, du fait qu’il soit lesté de cette charge imaginaire selon laquelle leur accomplissement passerait par là, ils s’y refusent puisque s’ils l’obtenaient, qu’y aurait-il après ? La crainte qui est la leur est celle de l’extinction de leur désir voire de leur existence. Comment ne pas entendre ici la confusion qui s’opère entre objet de désir – objets métonymiques vers lesquels le désir se porte, la vie durant, sans nécessité de s’en satisfaire – et objet cause du désir ? Ceux-là ne savent pas, encore – car la psychanalyse est une école du désir – que le désir est manque et qu’il ne s’éteint que de mourir. Le désir est un mouvement, une danse !
 
Les deuils inconsolables aussi nous apprennent sur l’angoisse et son lien à l’objet a. Le drame dont il est question n’est pas tant que l’être aimé soit soudainement perdu, ou plutôt, absent – ce qui, une fois passé l’épreuve du Réel, n’évite pas les larmes mais reste supportable – mais de comment celui qui reste perd à cette occasion sa place fantasmée d’objet phallique, objet de jouissance pour l’autre. C’est parce que lui s’imagine en position d’objet manquant à l’autre que la mort de l’être aimé est insupportable, inconsolable. C’est lui-même, en tant qu’objet, qui est perdu ! Le deuil n’est pas tant perdre l’autre comme objet mais perdre celui pour qui nous étions cet objet. Ce n’est pas seulement quelqu’un qui meurt, ce qui meurt est l’illusion que l’objet que nous nous faisions pour l’autre n’a pas suffi, n’a pas été et ne sera plus jamais.
 
Un autre exemple clinique est celui de patients qui, à un moment donné de leur cure, reconnaissent qu’ils ont « besoin » de leurs angoisses. Une angoisse s’apaise et une autre apparaît ! N’est-ce pas ici la fonction même de l’angoisse qui vient signaler au Moi aliéné que quelque chose quelque part cloche, quelque chose étant ce manque de manque ? D’ailleurs, nombreux sont ceux qui, quotidiennement, inlassablement, s’acharnent à trouver « la petite bête », ce qui ne va pas, ce qui cloche, bref ce qui manque, pour se rassurer que oui, ça manque ! L’angoisse vient rappeler l’être au manque. Elle murmure quelque chose de la sorte : « Il est urgent que tu puisses te séparer, céder de ta demande, renoncer à l’objet perdu ! »
 
Par ailleurs, la perversion, en tant que structure, nous permet aussi de lire encore plus précisément ce qui se joue dans le rapport à l’objet et à la jouissance puisque la perversion, en elle-même, est jouissance. Le pervers ne cède de rien et reste dans la jouissance. Il ne reconnaît rien du manque de l’Autre et par conséquent, sa condition même d’être manquant. Le pervers s’offre loyalement à la jouissance de l’Autre non barré. Il répond à l’impératif de sa demande. L’objet perdu imaginaire devient condition absolue du désir du pervers et prend forme réelle, a contrario du névrosé qui s’en tient au fantasme.
 
Le névrosé fait semblant de se soumettre à son Autre intramoïque non barré, il veut que l’Autre lui demande car il en tire bénéfice. Le névrosé cherche à obtenir l’objet a par la demande. Il se croit suffisamment puissant pour obtenir le a et s’en faire pourvoyeur pour l’Autre. Cela vient voiler la condition nécessaire du manque, cause du désir. Ce manque est à conserver, précieusement. Il est possible d’appendre à le supporter. C’est la dignité même de l’être devenu sujet.
 
La résolution de l’angoisse passe inévitablement par la reconnaissance du manque dans l’Autre, qu’il soit nommé[19] et Lacan de nous indiquer que « c’est dans le franchissement de l’angoisse que se constitue le désir »[20]. Lacan nous avait d’ailleurs alertés sur le fait que « ce devant quoi le névrosé recule, ce n’est pas devant la castration, c’est de faire de sa castration ce qui manque à l’Autre »[21]. C’est dans ce même séminaire L’angoisse que Lacan fait une avancée considérable dans la théorie et la pratique de la cure psychanalytique puisqu’il propose rien de moins qu’un au-delà du roc de la castration, impasse freudienne de la fin de la cure qui n’est, pour Lacan, qu’apparente. La séparation de l’être d’avec l’objet déplace cette impasse du complexe de castration par l’intervention même de l’objet a. La castration est l’opération par laquelle l’être symbolise son défaut de jouissance et en fait objet cause de son désir.
 
La psychanalyse est une proposition d’instauration effective de la castration dans la vie des êtres, par l’opération du grand Autre barré, représenté par le clinicien. La traversée du fantasme dans la cure psychanalytique aboutira justement à ce que l’être repère quel objet il est dans son fantasme et ainsi, qu’il puisse construire un savoir sur son désir. La position même de sujet, sujet de désir et responsable de son existence, exige ce dégonflement imaginaire et une éthique du désir qui passe par la reconnaissance du grand Autre barré.
 
 
 
 
 
 
 
Références bibliographiques :
 
Ouvrages :
 
Freud, S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1965.
 
Freud, S. (1926). « Inhibition, symptôme et angoisse », in Œuvres complètes, vol. XVII, Paris, PUF, 1992, pp. 203-286.
 
Freud, S. (1933). « Angoisse et vie pulsionnelle», Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, in Œuvres Complètes, vol. XIX, Paris, PUF, 1995, pp.164-94.
 
Lacan, J. (1957-58). Le séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998.
 
Lacan, J. (1962-63). Le séminaire, livre X, L'angoisse, Paris, Seuil, 2004.
 
Lacan, J. (1967-68). Le séminaire, Livre XV, L’acte psychanalytique, ALI, Inédit, 2014.
 
Lien internet :
 
Amorim (de), F. Le langage de l’angoisse en psychanalyse, 2020, https://www.fernandodeamorim.com/details-le+langage+de+l+angoisse+en+psychanalyse+-+paris+9eme-
 
[1] Freud, S. (1926). « Inhibition, symptôme et angoisse », in Œuvres complètes, Vol. XVII, Paris, PUF, 1992, pp. 203-286.
[2] Ibid., p. 242.
[3] Ibid., p. 240.
[4] Freud, S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1965, p. 66.
[5] Freud, S. (1933). « Angoisse et vie pulsionnelle », Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, in Œuvres Complètes, Vol. XIX, Paris, PUF, 1995, p. 170.
[6] Ibid., p. 169.
[7] Freud, S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse, op. cit, p. 52.
 
[8] Amorim (de), F. Le langage de l’angoisse en psychanalyse, 2020, https://www.fernandodeamorim.com/details-le+langage+de+l+angoisse+en+psychanalyse+-+paris+9eme-539.html
[9] Lacan, J. (1962-63). Le Séminaire, Livre X, L'angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 33.
[10] Lacan, J. (1957-58). Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 284.
[11] Lacan, J. (1962-63). Le Séminaire, Livre X, L'angoisse, op. cit., p. 53.
[12] Ibid. p. 67.
[13] Ibid. p. 53.
[14] Ibid., p. 383.
[15] Lacan, J. (1967-68). Le Séminaire, Livre XV, L'acte psychanalytique, ALI, Inédit, 2014, p. 86.
[16] Lacan, J. (1962-63). Le Séminaire, Livre X, L'angoisse, op. cit, p. 376.
[17] Ibid., p. 67.
[18] Ibid., p. 179.
[19] Ibid., p. 390.
[20] Ibid., p. 205.
[21] Ibid., p. 58.
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