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À propos de la traversée du fantasme

Des fantasmes, il en est un certain nombre dans une cure psychanalytique. Conscients, à moitié, voire carrément inconscients, ils sont de multiples sortes et recouvrent diverses fonctions. Rêveries diurnes et autres fantaisies n’ont pas la même valeur ni fonction structurelle que le fantasme fondamental, repéré par Sigmund Freud et appréhendable sous trois formes différentes : observation du commerce parental, séduction de la part d’un adulte, menace de castration proférée[1].
 
Différence des sexes, origine de la sexualité, mystère de la naissance, telles sont les thématiques des trois fantasmes fondamentaux – respectivement fantasme de castration, de séduction et de la scène primitive – mis en lumière par Freud. Mon expérience de la cure lui donne raison : deux de ces fantasmes se sont révélés à moi au cours de ma psychanalyse et ont profondément changé mon existence, mon rapport à moi‑même, aux autres, au grand Autre, au Réel. Le rapport au Réel, voilà ce que vient boucher le fantasme. Scénario imaginaire impliquant une logique inconsciente complexe, à première vue, lorsqu’il vient à se révéler et se traverser, il apparaît soudain alors comme une bulle imaginaire trompeuse et lourde de conséquences. Ce qui paraissait gigantesque, monstrueux, terrible, effrayant se révèle soudain être si peu de choses. Le fantasme est un gonflement imaginaire par excellence que construit le Moi, incapable et immature à faire face à la rencontre avec le Réel – que ce soit celle d’avec le sexe, la sexualité ou la mort.
 
Freud nous a appris que l’être est profondément divisé à l’endroit du Réel du manque – Réel de la castration – divisé entre démentir et reconnaître. Il le conceptualise d’abord avec le fétichiste pour s’apercevoir ensuite que le clivage de l’objet phallique concerne toutes les structures. La division subjective concerne tout être parlant, ce que Jacques Lacan représentera par S et le fantasme : S <> a[2].
 
La traversée d’un fantasme fondamental fait partie des moments, dans une existence, qui marque un avant et un après. Je dirais même, c’est un moment qui littéralement permet d’exister, pour reprendre la distinction de Fernando de Amorim entre vivre et exister[3]. Le fantasme est au cœur du travail de la cure. Il y a presque dix ans, je témoignais, naïvement  j’apprendrai les années suivantes qu’une telle expérience prend du temps à s’élaborer et s’énoncer clairement – d’une première sortie de cure. Il est certain que j’en témoignerais autrement aujourd’hui, davantage éclairée de cette expérience qui me sonna quelques temps. La traversée d’un des fantasmes fondamentaux cités ci-dessus concernait en premier lieu l’un de mes parents, tout du moins une des figures parentales. L’effet de cette traversée, au moment de la parole dite en séance, est un effet de révélation. C’est une découverte qui tombe, presque brutalement, et qui éclaire ce qui n’était alors qu’obscurité épaisse.
 
Quelques années après, à ma grande surprise – comme d’habitude, c’est toujours par surprise – je revivais la même expérience une seconde fois dans ma cure. Il n’était plus question de symptômes à régler – cela était résolu – et il ne s’agissait pas non plus ni de la même thématique, ni de la même logique inconsciente. Je découvrais un nouveau fantasme originaire, gravé en moi à mon insu, d’un tout autre ordre que celui de ma première sortie de cure et qui concernait ma deuxième figure parentale. Et pourtant, ce deuxième fantasme, résultat d’une mauvaise rencontre lorsque j’étais enfant – face à l’effraction sexuelle – je l’avais évoqué dès le début de ma psychanalyse. C’est la différence entre dire, voire seulement évoquer, un fantasme et le traverser. Il s’agit de deux phénomènes bien différents.
 
L’œuvre freudienne nous légua une découverte majeure : le symptôme se déchiffre et contient un message caché que la cure psychanalytique aura pour visée de dévoiler. La guérison adviendrait alors suite à ce déchiffrage, par l’effet du passage de l’inconscient au conscient. Pas si simple ! L’expérience psychanalytique ouvre les yeux à Freud sur la complexité dont la formation et la résolution du symptôme retournent : l’être tient à son symptôme, il s’y accroche, il ne veut pas céder de sa souffrance. Cela fait passer Freud de la référence au sens à la signification du symptôme. Lacan nommera cet accrochage « jouissance » face à laquelle l’interprétation symbolique ne suffit pas.
 
Le message chiffré du symptôme est intrinsèquement lié au fantasme fondamental qui est une formulation langagière, l’inconscient étant structuré comme un langage d’après la fameuse formule lacanienne. Le fantasme est une articulation signifiante, c’est une formule. Il se présente comme une phrase, à l’image de Un enfant est battu[4]. Cependant, dire ne suffit pas, encore faut-il entendre ce qui se dit.
 
À l’occasion d’un cours entendu à la faculté lors de la préparation de ma thèse, une phrase d’un professeur vint résonner en moi. Cela n’aurait probablement pas été le cas si le contenu de sa parole à lui n’entrait pas en écho avec ma parole à moi, dans mes séances. Comme si, à ce moment-là, à travers quelques mots entendus, j’avais mieux entendu les miens et, en l’occurrence, un fantasme. C’est ce qui signe, selon moi, la différence entre nommer et traverser un fantasme. Nommer un fantasme peut passer inaperçu et ne pas faire d’effet pour celui qui l’énonce. La traversée agit comme un accusé de réception : ce qui s’entend dans ce qui est dit produit un effet de chute. À ce moment-là, je ne résistais pas et courais chez mon psychanalyste faire des séances et des séances sans m’importer du nombre. Il était urgent de dire, une fenêtre que je savais n’être pas éternelle s’ouvrait et il ne faut pas résister dans ces moments-là. Il y a, dans une cure, certaines ouvertures à ne pas rater. J’enchainais les séances, plusieurs fois par jour, plusieurs fois dans la semaine. Je ne comptais pas les séances supplémentaires. Je réaliserai – quelques semaines après – qu’il s’agissait alors d’une deuxième sortie de cure. Reconnaissant le même alignement signifiant, la même précipitation (au sens de quelque chose qui tombe et qui exige de se dire), la même possibilité d’élaboration qui sort de la bouche tel un fruit mûr à point, la même urgence à dire. Je l’avais déjà connu une première fois, impossible de ne pas le reconnaître. Il s’agissait d’un tout autre fantasme, même si l’ensemble de la vie psychique agit de concert. Les effets, bien que moins spectaculaires, m’ont toutefois à nouveau permis de goûter à une existence autre. Autre, car ce qui venait de se fluidifier, encore davantage, concernait l’accès au féminin et à ma condition d’être femme. Je découvrais alors que le rapport au sexe (le sien propre) et la sexualité ne sont pas la même chose ; ces deux traversées me permirent de faire le tour – au moins deux – de ces questions. Ma vie prit une autre tournure, des choix se sont imposés. Cela pour témoigner que la traversée d’un fantasme ne laisse pas indemne.
 
J’apprenais aussi que la castration, qui avait déjà opéré des années auparavant, n’était pas chose acquise, figée, mais pouvait être poussée encore davantage. Si, lors de ma première expérience, il fut question d’un changement radical de position et d’un mode de jouissance castré, la seconde expérience concernait davantage un mouvement de progression ; progression vers davantage de castration, davantage de dépouillement. J’ai eu le sentiment que c’était mon être en lui‑même qui avait été marqué de cette castration symbolique : « de la tête au pied », disais-je à mon psychanalyste. Cela n’était pas imputable seulement à cette seconde traversée mais plutôt à une réactualisation d’une rencontre avec le manque qui avait posé sa marque une première fois et qui pouvait pousser encore un peu plus loin l’engagement avec mon désir, ma vie, ma condition d’être de manque. C’est une expérience presque corporelle, pas seulement psychique. La castration symbolique n’est pas une petite chose. Elle m’a parfois fait l’effet, symbolique, d’une éventration.
 
La castration est la condition même de la position de sujet, de la condition féminine, de la possibilité d’être dans son sexe propre. Lacan a positivé la castration en en faisant la condition même du désir et ce qui le libère d’une forme de jouissance. Par conséquent, la cure opère comme une révélation, à partir du déchiffrage du symptôme, d’un défaut de castration. L’assomption de la castration comme finalité de la cure fut théorisée par Lacan dans ses premiers enseignements. Sans parler de la perte du phallus imaginaire, inhérente à la traversée du fantasme, celle-ci agit plus globalement au niveau des trois registres (Imaginaire, Symbolique et Réel) du fait que le fantasme lui-même est une tentative de nouage du Symbolique et du Réel de la jouissance par l’Imaginaire du fantasme[5].
 
Celui qui subit avant tout cette traversée, c’est le Moi. Il subit, cette fois-ci, non plus les injonctions des organisations intramoïques mais le désir du grand Autre barré qui cherche à se dire. C’est au Moi de s’incliner. À un moment, séances après séances, cela lui est possible, même pour cette instance psychique aliénée par structure. La castration passe par là aussi, céder de ses résistances et laisser passer ce qui vient d’ailleurs, ailleurs que du Moi, en arrière de soi-même. Les conséquences de cette traversée concernent par contre l’être dans son ensemble : son rapport à lui-même, aux autres, au monde.
 
La traversée n’est pas toujours repérable dans une cure, en tout cas aisément – déjà dans la sienne propre. Si dans mon cas, lors de la première traversée, une déduction après-coup de mon fantasme s’est effectuée, grâce aux effets palpables de cette traversée (résolution du symptôme, chute du transfert, castration du mode de jouissance entres autres), dans ma deuxième expérience, j’ai repéré la traversée avant d’en constater les effets dans mon existence. La formulation du fantasme est tombée dans mon oreille comme un voile qui, soudainement, se lève. Selon moi, les quelques années de psychanalyse qui ont précédé et la première traversée y sont pour quelque chose. Les traversées ultérieures se repèrent ensuite comme un marqueur d’une cure qui est – pour le clinicien – en continu.
 
C’est toute une logique inconsciente qui découle du fantasme fondamental et certains symptômes y sont entièrement dédiés. Les symptômes sont la conséquence même d’un fantasme refoulé. Ce qui est refoulé a toujours à voir avec le rapport entre les sexes. Ainsi, si certains symptômes peuvent se résoudre au cours d’une psychanalyse, d’autres ne cèderont que lorsque le fantasme aura été dévoilé et traversé. Rappelons que le symptôme se distingue des autres formations de l’inconscient du fait qu’il ne se réduit pas à son interprétation. Le symptôme vient à la place du vide structurel de l’être : place de l’objet a. Il a une fonction de bouchon imaginaire. En ce sens, fantasme et symptôme ont la même fonction. La différence est que le fantasme est refoulé alors que le symptôme – formation de l’inconscient – est une manifestation perceptible de la libido cristallisée et du reste de jouissance. Le fantasme, lui, tire les ficelles en arrière-plan. La liquidation véritable du symptôme  à savoir celle qui ne procède pas d’un forçage du Moi ou d’un effet de transfert – résulte de la traversée du fantasme, véritable opération de désêtre. Le désêtre correspond selon moi à cette opération de dépouillement imaginaire qui a lieu au cours d’une psychanalyse. C’est un processus continu, rien n’est acquis ni figé dans le marbre.
 
Freud avait remarqué que les fantasmes se créent de l’entendu – ce que Lacan nommerait le discours de l’Autre – et du vu  soit l’expérience intime vécu par l’être lui-même. Il a défini les fantasmes comme la conséquence de ce que « les objets et directions abandonnés par la libido ne le sont pas d’une façon complète et absolue »[6]. Ils s’alimentent à partir des fixations libidinales de l’être ; une fixation étant une « cristallisation d’une certaine quantité d’énergie libidineuse »[7]. Ce reste de jouissance non abandonnée, n’est-ce pas ce qui interpellera Lacan et qu’il définira comme le « plus‑de‑jouir » ?
 
Ce que dévoile le fantasme c’est un désir, désir qui n’en a pas encore le statut. Il faudra pour cela que l’être puisse en reconnaître la dimension de manque qui le soutient. Le fantasme est un écueil pour celui dont la jouissance entrave le désir. La traversée du fantasme est la proposition lacanienne à l’impasse du roc de la castration freudien. Si cet écueil se traverse, par définition cela signifie donc qu’il se franchit et c’est dans cette visée que Lacan a inventé l’objet a. L’ancêtre freudien de cet objet a, c’est l’objet perdu. Cependant, Lacan répondant à Serge Leclaire est assez clair là-dessus, l’objet a n’est pas l’équivalent de l’objet perdu, ce n’est pas sa fonction première ; il est davantage irrécupérable que perdu ; « l’objet a est une construction. Qu’on nous la présente comme un objet, et un objet perdu, je n’y vois pas en soi un obstacle ; c’est une prise de vue, incontestablement ; ce que ça suggère, c’est : un de perdu, dix de retrouvés ! »[8]. L’objet a n’est pas un objet imaginaire, c’est l’Imaginaire qui vient se coller à lui et le recouvrir. Par son fantasme, l’être va le situer dans l’Autre : « (…) cet objet vient sustenter le sujet au point même de sa défaillance (défaillance normale liée au signifiant) et condense son être de jouissance comme reste (chute) de la division subjective. Cet objet a dans la formule fonctionne comme un leurre (la carotte) face au sujet »[9]. Ce faisant, ce processus renforce l’aliénation à l’Autre et à sa demande. Cela se rejoue d’ailleurs dans le transfert qui deviendra un outil de désaliénation seulement si le clinicien, en ne répondant pas à la demande ni acceptant cette place de leurre d’Autre non barré, engage ainsi l’être à renoncer à cet idéal tout-puissant.
 
Le leurre est au cœur même de la structure fantasmatique : illusion d’une satisfaction possible de son désir et d’une possible maîtrise du manque, voilà ce qui revient quotidiennement dans nos consultations. Même refoulé, le fantasme infuse la lecture du monde de l’être et le monde qu’il donne à voir est purement imaginaire. Le désir, uniquement appréhendé au plan imaginaire, est ravalé au registre du besoin. La fonction illusoire du fantasme n’est pourtant pas seule qui vaille. Il n’est pas qu’un scénario imaginaire ; il est une construction psychique organisée par l’être pour faire face à l’insupportable du Réel, le Réel du manque. Le fantasme agit comme une réponse prothésique à la béance symbolique et à l’énigme de l’Autre. D’ailleurs, « Il n’y a pas d’autre entrée pour le sujet dans le réel que le fantasme »[10] disait Lacan.
 
L’expression « traversée du fantasme » figure bien le mouvement dont il est question, grâce au respect strict de la règle fondamentale des associations libres, à savoir un dévoilement : lever le voile et « faire apparaître, derrière le bouchon imaginaire, le trou, le manque symbolique »[11]. C’est une révélation pour l’être.
 
L’insupportable du Réel peut tout aussi bien concerner la mort, la sexualité – les deux rencontres traumatiques auquel l’être aura à faire dans son existence – mais tout simplement aussi sa condition d’être parlant et désirant qui ne se soutient que du manque. Solitude, inaccessibilité du désir, garantie aucune et non maîtrise, telles sont les conditions d’être dans le monde. Face à l’insupportable de certaines rencontres, le fantasme fondamental agit comme un rempart, comme un écran, aussi aliénant soit-il. L’effet de la traversée est celle d’un changement de forme quant à cette fenêtre sur le Réel qu’est le fantasme. Elle devient beaucoup plus mince, beaucoup plus à proximité de ce Réel car pour l’être, devenu sujet, cela lui est désormais supportable. Dans Proposition sur le psychanalyste de l’école, Lacan indiquait : « Dans ce virage où le sujet voit chavirer l’assurance qu’il prenait de ce fantasme où se constitue pour chacun sa fenêtre sur le réel, ce qui s’aperçoit, c’est que la prise du désir n’est rien d’autre que celle d’un désêtre. »[12]
 
Le vertige face au Réel, je l’ai personnellement rencontré du fait de ma position de psychanalysante, même déjà sujet, mais en poursuivant l’élaboration devenue possible grâce à la continuation des séances. Le psychanalysant lambda, devenu sujet, ne se souciera peut-être pas de ces questions et ne cherchera pas, dans une certaine éthique personnelle et professionnelle, à mettre des mots sur ce qui est difficilement dicible. Le clinicien, qui s’engage dans son travail avec la psychanalyse, se doit de ne pas lâcher le divan, même après sa sortie de cure. Personnellement, je peux en témoigner l’importance et la préciosité de continuer à associer librement, dire, formuler, répéter, pour tenter de saisir un petit bout de savoir de l’expérience de la cure qui, de toute évidence, échappe. Ce qui se vit dans la cure peut, à certains endroits, prendre des années à se dire clairement. La traversée du fantasme fait partie de ces expériences qui peuvent mettre du temps à s’élaborer, à s’énoncer de façon limpide, même si les effets prennent place avant que le Moi en saisisse quelque chose.
 
Mon expérience donne raison à la première théorisation lacanienne des années 50 selon laquelle une sortie de psychanalyse suppose d’avoir réduit le désir à ce qu’il est, à savoir le manque, soit la castration[13]. Vers la fin de son œuvre, Lacan évoquera davantage l’identification au symptôme – « savoir faire avec le symptôme »[14] – à entendre comme une « identification à une fixation de jouissance modifiée par rapport au symptôme d’entrée dans l’analyse »[15]. Si je suis d’accord avec le changement de modalité de jouissance, je ne considère pas l’identification au symptôme comme corollaire de la sortie de cure. S’il reste du symptôme, ce n’est pas une sortie de psychanalyse. Le symptôme chute lorsqu’il n’a plus lieu d’être ; lorsque le sujet se réduit à la simple coupure subjective dont il dépend et l’objet à un rien, un manque d’objet.
 
Un autre désaccord avec Lacan concerne la procédure de la passe : une psychanalyse ne fait pas un psychanalyste, quand bien même elle est la condition sine qua non de sa formation. La psychanalyse offre la possibilité à l’être de devenir sujet. Cela dit, cette offre n’est pas un gain, il n’y a rien à gagner dans une sortie de cure : ni titre, ni place, ni diplôme.
 
Le parcours d’une cure et le chemin de cette traversée amènent l’être à faire le tour (et pour certains – cliniciens – plus d’une fois) de l’objet, et même de leur position d’objet, jusqu’à en repérer l’objet a. Le résultat est celui de découvrir que « le lieu d’où il désire ne se trouve pas devant lui mais en arrière, là où réside la cause de son désir »[16]. Faire le tour de l’objet, plusieurs fois, jusqu’à ce que la cure puisse révéler à l’être sa condition même d’objet qu’il se fait pour l’autre. Cette position d’objet dont il aura à se défaire lui sert tant qu’il est incapable d’assumer la solitude que suppose la condition d’être parlant, adulte, responsable et dans son sexe propre (homme ou femme). Cette position d’objet, objet de jouissance dans son fantasme, résulte d’une tension entre la menace d’être l’objet du désir de l’Autre et la peur de perdre cet objet phallique qu’il se fait pour l’Autre. La perte, dans une psychanalyse, ne concerne pas un objet quel qu’il soit. C’est de l’Imaginaire qui s’évapore. Surtout, il s’agit de l’être lui-même qui perd sa fonction d’objet pour l’Autre. De là, se révèle à lui sa condition d’être de manque mais aussi, la condition du manque dans l’Autre. C’est ainsi que le rapport à la demande de l’Autre devient rapport au désir avec ce que cela révèle de castration. Le manque de l’Autre est radical, il est impossible à combler. Au fur et à mesure de l’avancée d’une psychanalyse, l’écart se forme entre demande et désir. Cette disjonction laisse alors apparaître la condition et la spécificité même du désir, le manque, tout désir impliquant un manque dans l’Autre ( ).
 
La castration n’est pas quelque chose qui se décide ni s’accepte. Elle s’impose et le Moi ne peut faire autrement que de la reconnaître puis de l’assumer. Cette désillusion – Lacan disait « déchoir de son fantasme »[17] – est expérience de désêtre, de destitution subjective. C’est bien la conséquence de la traversée du fantasme puisque le fantasme scénarise cet objet que l’être s’aliène à être pour l’Autre. « La valeur de la psychanalyse, c’est d’opérer sur le fantasme »[18] nous indiquait Lacan, nous éclairant ainsi sur l’outil opératoire de la cure. Dans le fantasme du névrosé, c’est même la demande de l’Autre qui occupe pour lui la place d’objet cause de son désir.
 
En ce sens, l’expérience de la cure est bien une expérience de subjectivation. L’être passe de la position d’objet à celle de sujet. La psychanalyse est une invitation à sortir de son ignorance, de son aliénation et à s’approcher, un peu plus, du Réel. Si le terme « traversée » traduit un mouvement progressif, tel qu’il se produit au cours d’une psychanalyse, à savoir que l’être opère un franchissement – il passe d’une position à une autre –, il faut l’entendre aussi comme être traversé soi-même. L’Œdipe est traversé par la castration, le fantasme de même, mais l’être également car son Moi aussi peut être traversé par la castration. Cela dépendra certainement de l’engagement et du désir du psychanalysant à aller jusque-là, cela n’est pas forcément nécessaire. La résolution de ce qui faisait souffrir peut ne pas exiger une telle expérience. Pour le clinicien qui s’engage avec la psychanalyse dans sa profession, c’est une question d’éthique.
 
 
 
Références bibliographiques :
 
Ouvrages
 
Freud, S. (1915-17). « Leçons d’introduction à la psychanalyse », in Œuvres Complètes, Vol. XIV, Paris, PUF, 2000.
 
Freud, S. (1915-17). Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 2001.
 
Freud, S. (1919). « Un enfant est battu », in Œuvres Complètes, Vol. XV, Paris, PUF, 2012, pp. 115-146.
 
Lacan, J. (1957-58). Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998.
 
Lacan, J. (1966-67). Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme, ALI, inédit.
 
Lacan, J. (1967). « Proposition sur le psychanalyste de l’école », in Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, pp. 243-260.
 
Lacan, J. (1976-77). Le Séminaire, Livre XXIV, L'insu que sait de l'une bévue s'aile à mourre, ALI, inédit.
 
Articles de périodiques 
 
Castanet, D. « Fantasme et réel ». L’en-je lacanien, 2007/2, n° 9, p. 101-118.
 
Leclaire, S. « L’objet dans la cure », Congrès d’Aix‑en‑Provence (20-23 mai 1971). Lettres de l’École freudienne, 1972, n° 9, p. 422-448.
 
Sakellariou, D. « Traversée du fantasme versus identification au symptôme ». Psychanalyse, 2013/3, n° 28, pp. 21-24.
 
Liens internet 
 
Amorim (de), F. Le langage de l’angoisse en psychanalyse, 2020, https://www.fernandodeamorim.com/details-le+langage+de+l+angoisse+en+psychanalyse+-+paris+9eme-539.html
 
Lacan, J. (1967). « Discours de clôture des journées sur les psychoses », https://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/1967-10-22.pdf
 
Lacan, J. (1968). Résumé du séminaire : « La logique du fantasme », https://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/1968-07-00.pdf

[1] Freud, S. (1915-17). « Leçons d’introduction à la psychanalyse », in Œuvres Complètes, Vol. XIV, Paris, PUF, 2000, p. 382.

[2] Lacan, J. (1966-67). Le Séminaire, Livre XIV, La logique du fantasme, ALI, inédit, p. 12.

[3] Amorim (de), F. Le langage de l’angoisse en psychanalyse, 2020, https://www.fernandodeamorim.com/details-le+langage+de+l+angoisse+en+psychanalyse+-+paris+9eme-539.html

 

[4] Freud, S. (1919). « Un enfant est battu », in Œuvres Complètes, Vol. XV, Paris, PUF, 2012, pp. 115-146.

[5] Castanet, D. « Fantasme et réel ». L’en-je lacanien, 2007/2, n° 9, p. 109.

[6] Freud, S. (1915-17). Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 2001, p. 454.

[7] Ibid., p. 443.

[8] Lacan, J. in Leclaire, S. « L’objet dans la cure », Congrès d’Aix-en-Provence (20-23 mai 1971). Lettres de l’École freudienne, 1972, n° 9, p. 446.

[9] Sakellariou, D. « Traversée du fantasme versus identification au symptôme ». Psychanalyse, 2013/3, n° 28, p. 22.

[10] Lacan, J. (1968). Résumé du séminaire : « La logique du fantasme », p. 2, https://ecole-lacanienne.net/wp-content/uploads/2016/04/1968-07-00.pdf

[11] Castanet, D. Op. cit., p. 112.

[12] Lacan, J. (1967). « Proposition sur le psychanalyste de l’école », in Autres Écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 254.

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