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Sur la répétition - Intervention à Place Analytique

Ce qui se jouit dans la répétition - Julie Mortimore Billouin (janvier 2023)
 
Voici les quelques phrases avec lesquelles j’ai d’abord approché le thème de cette année :
 
Qu’est-ce qui se jouit dans la répétition ? Et qu’est-ce qui se répète dans la jouissance ? Voilà comment pourrait s’interroger l’énigme du retour du même, de l’insistance, de ce « plus fort que soi » en nous qui nous contraint, nous entrave, nous désespère et qui pousse, certains, à franchir la porte du psychanalyste. Qu’est-ce donc qui se répète ? Et qu’est-ce qui en nous-mêmes, nourrit cette aliénation mortifère ? C’est à travers ces questions premières, articulées à la clinique psychanalytique, que je souhaiterais discuter avec vous de ces deux concepts de la théorie psychanalytique majeurs et entrelacés que sont la répétition et la jouissance, conjoints au symptôme qui s’en trouve être la rencontre.
 
À présent, mon propos de ce soir.
Je voudrais cette année mettre en tension plusieurs concepts qui gravitent autour de celui de la répétition : la jouissance, la pulsion et son objet, le fantasme, le grand Autre.
 
Je continue ma formulation et je dirais alors ceci : au nom de quoi je répète ?
Et plus encore, à quoi j’obéis quand je répète ?
 
Voici une première proposition : la répétition, c’est une forme de la tyrannie interne, intrapsychique, qui se met en scène au moyen, bien souvent, du symptôme. La répétition est le moyen par lequel un être jouit d’une position d’objet qu’il occupe auprès d’un grand Autre, un grand Autre non barré. C’est à cette relation tyrannique et jouissive que l’être obéit lorsqu’il répète, inlassablement, le même fonctionnement. Et quand bien même cet Autre non barré peut trouver à se matérialiser, soulignons d’ores et déjà que la répétition, c’est un mouvement interne, un mouvement interne même nécessaire au fantasme.
 
Ce A non barré, c’est la figure d’exception, la figure du père bien souvent, de la mère toute-puissante également. C’est ce que Lacan a formulé de ce « Un pour qui non phi de x », ce Un qui échapperait à la castration. La finalité d’une psychanalyse rejoint ce moment de destitution de cet idéal, cette chute des semblants, cette reconnaissance de « « il n’existe pas de x pour qui non Phi de x », pour reprendre les formules de la sexuation de Lacan. Je pense que la répétition, et la jouissance qui la sous-tend, cessent à partir de cette reconnaissance qui n’est pas autre chose qu’une rencontre avec du vide. À un moment, le traitement du vide ne passe plus par une figure d’exception. L’être assume qu’il est seul et que l’Autre ne répondra pas : l’Autre est foncièrement barré.
 
La répétition est liée inévitablement à la jouissance – c’est pourquoi nous avons ainsi formulé le titre de cette année – car si ça ne jouissait pas, ça ne se répèterait pas. La jouissance, c’est le fruit espéré de la répétition et le symptôme s’y attèle en somme, ce qui n’est que pure illusion, pure aliénation. La répétition, c’est aussi une façon de donner sens, de donner corps, de donner du mouvement à ce qui, de l’Autre, est traumatisant. Je propose alors ceci que la répétition est un masque quant au vide, au Réel, qui ne trouve pas l’accès au symbolique. C’est lorsque ça ne jouit plus que la répétition cesse, que la coupure opère, et que la castration devient efficiente.
 
Répéter, c’est répéter une position subjective qui est celle d’une aliénation et même, d’une soumission, une soumission qui n’est que le résultat de l’objet que je me fais pour l’Autre, pour continuer moi à jouir de ma position d’objet et jouir de l’Autre mis en position d’exception, d’exception vis-à-vis de la castration. Et si je me fais objet de cette exception qui ne serait pas concerné par la castration, je me crois alors récupérer un peu de ce prestige, de cette absence de castration. C’est cela la logique du fantasme. Répéter cette croyance pour continuer à jouir d’une position subjective non castrée, où le manque n’est pas assumé, où les semblants phalliques n’ont pas chuté. Mais le manque n’est pas assumé tant que le tissu symbolique qui soutient l’être parlant n’est pas, ou pas encore (je pense ici au trajet même d’une cure), assez solide, pas assez musclé pour que l’être parvienne à traiter le vide, insupportable, et à le transformer en un manque qui devienne supportable. C’est en effet tout le trajet d’une cure psychanalytique.
 
Claude-Noële Pickmann fait d’ailleurs du féminin, et du pas-tout, le résultat d’une psychanalyse qui n’est rien d’autre que la destitution[1] de l’idéal, destitution de la figure du père, destitution du Un en position d’exception. C’est cela le féminin (et cela vaut pour homme ou femme), c’est savoir autrement traiter le vide que par la béquille d’un Autre, non barré.
 
Je prends une illustration récente dans ma pratique clinique. Une patiente vient me consulter il y a peu car elle souffre de boulimie. Elle souffre de pensées obsédantes quant à la nourriture qui l’épuisent et la poussent invariablement le soir à engouffrer une quantité impressionnante de nourriture pour ensuite la vomir dans les toilettes. La scène se répète presque tous les jours. Elle sait que le plaisir du moment laissera place à la culpabilité, la honte, le dénigrement de sa personne mais c’est plus fort qu’elle, elle y retourne, elle répète. Quelques séances se passent et puis, à un moment donné, la répétition (cette fois-ci signifiante) dans la séance d’un mot apparaît : emprise. Ce mot, appelons cette patiente Camille, Camille va l’utiliser pour désigner la relation amoureuse qu’elle a vécue – ou subie – il y a quelques années avec un compagnon violent psychologiquement, tyrannique et même maltraitant. En un rien de temps, s’aligne une chaîne signifiante : cette emprise avec son compagnon, elle s’est déplacée sur la nourriture. « Je suis aussi dans une emprise avec la nourriture, c’est la même chose », me dit-elle. Une répétition se fait alors jour, celle d’une relation d’emprise. Le symptôme – la boulimie – agit par ailleurs comme une protection contre la relation à l’autre, dans la réalité, car son obsession pour manger l’empêche de rencontrer un autre homme. Le symptôme a ainsi opéré une substitution.
 
Nous pourrions alors nous demander, quelle est donc cette fonction qu’occupe là la nourriture dans cette économie psychique subjective ? Est-ce la jouissance orale de la dévoration qui vient faire obstacle à la rencontre amoureuse ? À quoi la compulsion alimentaire vient-elle barrer la route ? Ou bien Camille continue-t-elle à jouir par son symptôme de la relation d’emprise avec cet homme de laquelle elle ne sort pas ? La cure le dira, je l’espère.
 
Dans le cas de Camille, l’objet a changé mais pas le mouvement, la logique interne. Il est clair que la répétition provoque le retour du même, du déjà connu. C’est une rencontre artificielle avec l’objet, une forme de retrouvailles d’avec un objet qui apporte une satisfaction, mais laquelle ? Celle d’un plaisir érogène, mais celle aussi surtout de ce besoin de punition qu’elle a en elle et que le symptôme vient directement satisfaire. Ce qui se satisfait, c’est la culpabilité. Ce qui se répète donc, c’est un lien haineux et morbide entre la patiente et sa tyrannie interne, avec cet Autre en elle qui lui impose de jouir.
 
C’est en effet à partir de la découverte de la répétition et de la pulsion de mort que la théorie psychanalytique freudienne a pris un tournant majeur : l’opération psychanalytique n’était alors plus le déchiffrage et la trouvaille d’un sens caché au rêves/symptômes/lapsus mais alors la construction symbolique singulière d’un être pour enrayer ce qui sans cesse se répète, l’assujettit, le fait objet et même jouet de l’Autre.
 
Pour finir cette introduction et ouvrir encore davantage la discussion, comment ne pas évoquer le transfert tant il est le lieu, l’outil, le révélateur, dans une cure, de la répétition. Tant qu’il n’est que répétition, il entrave la cure mais lorsque cette répétition se dévoile au grand jour et révèle l‘objet de jouissance, le transfert peut alors, in fine, servir à la traversée psychanalytique.
 
 
[1] Pickmann, C.-N., « D’une féminité pas toute ». La clinique lacanienne, 2006/1, n° 11, p. 56.
 
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