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Le sens blanc en psychanalyse

Le sens blanc

 

Cette affaire d’évider, je l’ai retrouvée aussi chez Guérin lorsqu’il reprend l’avancée lacanienne évoquée tout à l’heure de renoncer au sens dans l’analyse. Guérin a carrément extrait les rares occurrences de Lacan pour ce qu’il a nommé « sens blanc », et pour lequel il s’est inspiré de la poésie chinoise. Je souhaitais partager cela aussi avec vous car c’est presque une proposition technique pour la conduite des cures

 

En 1956, dans sa Réponse au commentaire de Jean Hyppolite, Lacan soutient que la parole pleine « se définit par son identité à ce dont elle parle »[1]. À l’époque, la parole pleine était plutôt valorisée (contrairement à la parole dite vide) et considérée comme une finalité de la cure psychanalytique puisque permettant l’accès à la reconnaissance de son désir. À la fin de son enseignement, à partir du Séminaire XXIV (1976-77), Lacan proposera tout autre chose.

 

« En substance, il dévalorisera la parole pleine, du côté du sens, et rapprochera la parole vide de la signification, pour mettre en exergue un troisième type de parole (tressant parole vide et parole pleine), propre à certains poètes, qui, dans le double sens, évide un des deux sens (le sens blanc) pour y mettre une signification. »[2]

 

Il y a alors « coexistence d’un sens et d’une signification, elle-même à la place d’un sens vide, qualifiée par Lacan de “tour de force du poète”. Elle donne le modèle de l’interprétation telle qu’il la conçoit à la fin de son enseignement. »[3] . L’interprétation serait alors substitution d’un sens absent par une signification vide. C’est la « coexistence d’un sens et d’une signification, à la place d’un sens vide, que Lacan qualifie de tour de force du poète.

Guérin explique alors ce que sont le sens et la signification, ce que j’ignorais totalement :

  • le sens d’une proposition est la propriété d’un objet (l’étoile du matin)
  • la signification c’est l’objet nommé (Vénus)

 

Le sens est extensible, fuyant tandis que la signification est stable. « La signification, en quelque sorte, leste le sens »[4].

 

Guérin continue sur cette troisième forme de parole qui en vient au sens blanc (le blanc par évidemment de sens) et à la « déclosion ». Il cite Lacan : « Quelque chose qui est vide se noue à quelque chose qui est vide », puisqu’il s’agit d’évider un sens et d’y mettre à sa place une signification, soit un mot vide. C’est ainsi que l’interprétation doit chercher à viser autre chose que le sens, et cela a à voir avec la poésie. » Ce « Quelque chose qui est vide se noue à quelque chose qui est vide » évoque à Guérin la « conjonction/disjonction de l’objet a comme reste et du phallus comme manque »[5]. Il affine en ceci de fondamental :

« La psychanalyse se supportant d’une double opération : de perte d’une part, où le supposé savoir se réduit à l’objet a, et de manque d’autre part, qui soutient la réalisation subjective de la castration dans la rencontre avec l’autre sexe, le –φ étant le manque fondamental de l’organe qui permettrait le rapport des jouissances dans la conjonction des sexes opposés. »[6]

 

S’il peut y avoir conjonction de l’objet a et du phallus (imaginaire), la cure visera leur disjonction, leur différence absolue.

 

Ce changement chez Lacan implique que l’interprétation ne se situe plus dans les « résonances sémantiques » mais dans l’idée de faire sonner « autre chose que le sens »[7].

 

 

Au fil de la clinique

 

Le transfert, qui actualise la situation œdipienne dans la cure, ne le fait que pour mieux la cerner et la dépasser, cette situation. Le transfert convoque inévitablement la répétition et la jouissance jusqu’à ce que l’être puisse s’apercevoir quel objet il se fait pour l’Autre.

 

Cette semaine, une psychanalysante me disait ceci :

« Ce weekend j’ai vu ma mère, et il s’est passé quelque chose de nouveau. Elle m’a dit « ça serait bien que tu te maries ». Et pour une fois, je ne me suis pas sentie submergée par la colère. Je me suis dit ok, c’est son désir à elle. En fait, je suis en train de séparer son désir à elle de son désir à moi (lapsus calami, « de mon désir à moi »). Avant ils étaient presque confondus. Et pour la première fois de ma vie j’ai pu voir que ce qu’elle voulait elle, ce n’est pas ce que je voulais moi. Et je ne l’ai pas vécu comme une injonction non plus. »

 

Il me semble qu’ici, nous pouvons entendre cette disjonction à l’œuvre, entre phallus imaginaire et objet a notamment. Entendre un début de résolution à la question qui oriente toute cure : « est-ce mon désir ou celui de l’Autre ? », et que le voile du fantasme vient occulter. Le parcours d’une cure vise à reconnaitre l’Autre comme barré avec les conséquences qui vont avec : la solitude de notre condition d’être manquant. Car c’est par le biais de son fantasme que l’être « se figure que l’Autre demande sa castration »[8] et qu’il éprouve cette demande comme une volonté de jouissance. Jouissance qui n’est que celle du sujet mais qu’il réinjecte dans le fantasme et qu’il impute à l’Autre « pour continuer à croire qu’il existe »[9].

 

[1] Lacan, J. (1956). « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite », in Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.381.

[2] Guérin, N. Op. cit., p. 187.

[3] Ibid., p. 188.

[4] Ibid, p. 188.

[5] Ibid., p. 223.

[6] Ibid., p. 225.

[7] Ibid., p. 203.

[8] Ibid., p. 73.

[9] Ibid.

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