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Le religieux et l’athéisme psychanalytique

Le religieux et l’athéisme psychanalytique
 
Le transfert, j’y pense parfois aussi quand je vois l’usage particulier qui est fait par certains des textes, des mots, à la virgule près, de la pensée lacanienne surtout, freudienne aussi mais pas autant. Le style de Lacan, opaque, y est pour beaucoup. Il se prête à vouloir y trouver le sens caché. Pourtant, c’est bien à ce renoncement-là que nous a invités Lacan, j’y reviendrai. Le savoir lacanien est à mon sens bien trop souvent présenté comme un savoir absolu, qui aurait dit le tout et le vrai de la psychanalyse. À mon sens, c’est toujours la clinique qui tranche, le dire, et non l’écrit. Je suis bien souvent interpellée par la répétition, le ressassement, les discussions dans des journées de travail entre psychanalystes qui n’accouchent même pas d’une souris. Où est la fraîcheur ? Où est le désir ? Où est le résultat d’une psychanalyse ? Et même, où est le débat ?
 
Je rejoins volontiers Nicolas Guérin dans la lucidité et la critique qui est la sienne quant au milieu psychanalytique. J’ai pioché quelques passages percutants de son ouvrage Logique et poétique de l’interprétation psychanalytique. Essai sur le sens blanc[1], qui m’ont semblé rejoindre nos discussions.
 
 
L’athéisme psychanalytique
 
Guérin souligne le caractère religieux du fonctionnement même de la réalité psychique, ainsi arrimée au caractère d’illusion. L’illusion d’un sens caché se manifeste dans la cure à travers le transfert d’une part, le déchiffrage des formations de l’inconscient d’autre part. Le patient prête à un Autre, inconscient, une responsabilité et une intentionnalité dont il se décharge pas la même occasion alors que l’Autre barré (Ⱥ) est d’un autre ordre : il est symbolique, incomplet, désubjectivé et évidé de jouissance. La finalité d’une psychanalyse rejoint cette rencontre et la chute de cette illusion, de cette croyance, en l’Autre non barré, autre nom de l’aliénation. Et d’ailleurs, le symptôme se construit « au lieu du non-rapport entre le sujet et l’Autre »[2] : il est une tentative de faire exister un rapport avec l’Autre, un rapport de pouvoir.
 
Ainsi, chercher à déchiffrer le sens latent des formations de l’inconscient est une manière de faire vivre le sujet supposé savoir, fictionnel. Cela entretient l’aliénation voire un rapport masochiste non sans lien avec le fantasme fondamental. Mais la structure de l’inconscient ne coïncide pas avec cette illusion qui lui est prêtée de receler un sens caché, de contenir une masse de pensées latentes en attente d’être découvertes, « occurrence d’un savoir comme déjà là et soutenu par un sujet qui saurait avant »[3]. Lacan le disait déjà à sa manière : « ce que le savoir construit, ça ne va pas de soi que quelqu’un le savait avant. » (Lacan, Séminaire XV, 28 février 68).
 
C’est toute la question du sens justement que j’évoquais, et l’évolution de la pensée psychanalytique de Freud à Lacan est considérable. Chez Freud, il fallait déchiffrer le sens caché que recélaient les symptômes. Et même, c’était le psychanalyste, en bon archéologue, qui déterrait les fouilles et livrait les interprétations. Même si Freud a évolué, de l’interprétation à la construction dans l’analyse – mais aussi en découvrant la contrainte de répétition –, c’est bien Lacan qui nous a sortis de ce piège imaginaire et qui a donné toute sa noblesse et son humilité, il faut le dire, à la position du psychanalyste. Ce n’est pas au psychanalyste de sortir la sacro-sainte formule qui délivrera le patient de tout son mal. C’est au niveau du grand Autre (barré) que ça se passe. Je ne dirai pas mieux à ce propos que Guérin : « l’interprétation n’est pas un dit de l’analyste mais un dire de l’analyse »[4]. Et ça n’a rien à voir.
 
Lacan, dans son Séminaire XXI (19 février 74) avançait ceci :
« L’inconscient ça ne découvre rien, puisqu’il n’y a rien à découvrir, il n’y a rien à découvrir dans le réel puisqu’il y a un trou […] pour s’en apercevoir, il faut l’inventer : pour voir où est le trou, il faut voir où est le bord du réel. »
 
L’inconscient n’en est pas moins l’Autre, lieu symbolique, trésor des signifiants. Mais son noyau reste « non réalisé », reste un « réel hétérogène au savoir »[5]. Ainsi va la castration : « la totalité de la résorption du réel par la virtualisation du signifiant est impossible »[6].
 
Guérin a une idée assez nette et précise de ce qui advient à la sortie d’une cure : un athée viable, pas débarrassé de sa division subjective mais chez qui préside un « athéisme de son dire, pas de ses énoncés, mais de son énonciation (là d’où il parle) qui ne viendra plus contredire ce dont il parle, ni même son acte ou encore son "style de vie" ».[7]. Un athée viable, qui donc, ne sert aucun Dieu. L’athéisme psychanalytique, cela m’a beaucoup parlé.
 
Guérin nous donne une piste aussi sur cette question du reste. Il le situe chez Lacan dans cette formule du « pur défaut du sexe »[8] qu’il définit comme « le réel impossible à saisir par le symbolique ». Il ajoute : « Point d’horreur du savoir, le réel du sexe se fonde de sa qualité de différence radicale et irréductible inhérente à sa fonction de coupure (secare). Ce pur défaut est ce vide que le langage creuse au cœur de l’être, que Lacan définissait par l’axiome négatif « il n’y a pas de rapport sexuel » et que Freud, dans sa Contribution à la psychologie de la vie amoureuse, désignait comme ce « quelque chose dans la nature même de la pulsion sexuelle » qui ne semble pas être « favorable à la réalisation de la pleine satisfaction » que le symptôme vient à la fois indexer et masquer. »[9]
 
Mais pas question pour autant de se débarrasser du père dans cet athéisme psychanalytique, « il s’agit plutôt de le reconsidérer »[10].
 
Guérin insiste alors sur la nécessité de reconnaître ce que Lacan indiquait déjà que « le sort commun des pères est d’être châtré »[11], condition pour l’élever à sa dimension signifiante. La castration (permise par le Père réel) « tient à ceci que « le père est celui qui ne sait rien de la vérité ». Il s’agit du véritable effet d’athéisme que le discours analytique rend possible »[12].
 
« Cet athéisme révèle non seulement que l’Autre n’est pas le Père, mais il implique également la séparation du sujet et du savoir cela pour mettre à découvert le caractère désubjectivé du savoir inconscient »[13].
 
Il s’agit donc d’une « double disjonction » : du sujet et du savoir, du père et de la vérité.
 
« Dès lors, le sujet peut supporter que l’Autre, bien que manquant, ne lui demande rien. Et de là peut s’entrapercevoir que la jouissance que le sujet prêtait jusque-là à l’agent du fantasme ne s’avère, en fait, alimentée que par lui-même. Le père réel, ainsi extrait de sa gangue religieuse (disjoint du Père symbolique et imaginaire) autorise le sujet à ne plus confondre castration et privation »[14].
 
Cet aperçu est rendu possible par la traversée du fantasme.
 
Les effets de cette « ascèse psychanalytique », Guérin en parle aussi comme le fait « le sujet peut ainsi se confronter au désir de l’Autre sans être sur sa réserve ou sur ses gardes puisque désormais, et contrairement à avant la passe prise sur l’angoisse, le désir de l’Autre n’est plus interprété par le sujet comme un danger et confondu avec une demande ou menace de castration. L’existence de l’Autre ne se supporte plus de la supposition d’une volonté de jouissance qui fait consister l’Autre, et le sujet ne superpose plus castration et privation. »[15]
 
Ainsi, au fur et à mesure d’une cure, le transfert est, pourrait-on dire désincarné, déshabillé du corps du psychanalyste puisque le progrès de la cure s’oriente d’une destitution subjective qui consiste en « la chute du sujet supposé savoir et sa réduction à l’avènement de l’objet »[16] qui oriente le sujet vers l’objet cause de son désir.
 
Reste alors le transfert à l’Autre barré, l’Autre du langage, du savoir, un Autre qui ne peut pas et ne sait pas tout mais qui peut, malgré tout, se faire l’adresse d’un désir. Car aussi loin qu’un sujet puisse porter sa volonté de s’émanciper et de se libérer, il y a quelque chose dont il ne pourra pas se défaire, parce qu’il en est l’effet même ; il ne pourra pas se libérer de sa condition de parlêtre, de la nécessité de passer par l’Autre pour dire, pour nommer. Il me semble même que l’exercice de la cure psychanalytique, notamment celle du psychanalyste, vient à révéler la nécessité éthique de dire, de bien dire, de nommer et de ne pas céder sur cette éthique-là. Il n’y a pas de fin à cela, même pas de finalité peut-être, c’est juste une éthique personnelle. Cette condition de parlêtre, quelle est-elle ?
 
 
[1] Guérin, N. Logique et poétique de l’interprétation psychanalytique – Essai sur le sens blanc, Paris, Erès, 2019.
[2] Ibid., p. 106.
[3] Ibid., p. 101.
[4] Ibid., pp. 9-10.
[5] Ibid., pp. 101-102.
[6] Ibid., p. 102.
[7] Ibid., pp. 108-109.
[8] Ibid., p. 26.
[9] Ibid.
[10] Ibid., p. 54.
[11] Ibid., p. 61.
[12] Ibid.
[13] Ibid., p 62.
[14] Ibid.
[15] Ibid., p. 81.
[16] Ibid., p. 26.
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