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Le désir féminin – Julie Billouin (2022)

Je souhaiterais d’ores et déjà formuler ce qui me semble une tentative de réponse à un certain flou qui concernait notre groupe de travail : le désir féminin, parlons-nous du féminin ou d’être femme ?

Et pourquoi pas prendre les deux ensemble ?

Je propose alors cet axe : c’est quoi une position féminine pour l’être femme ?

 

Le féminin, il concerne le résultat de l’opération de la castration. Donc, cela vaut pour homme et femme. Maintenant, ce qui nous réunit toutes dans ce désir commun de travail c’est que nous sommes des femmes. Et c’est quoi, être femme ? Nous pourrions déjà ici reprendre Lacan, « La femme n’existe pas », il y a autant de façons d’être femme que de femmes. Il n’y a pas d’universel.

 

Comme une drôle de coïncidence, ma fille Gaïa ce weekend, qui apprend à parler, me regarde et me dit : « maman, t’es une femme ? ». Je n’avais jamais encore entendu ce mot-là de sa bouche… mais nul doute qu’il fut sorti de la mienne il y a quelques temps. Avec l’arrivée de son frère, la différence fille/garçon, c’est notre actualité. Mais « femme », voilà encore autre chose. Me voilà alors à lui dire qu’elle, jolie petite fille, plus tard deviendra femme. Tout un programme… ma réponse n’a évidemment pas suffi.

Car elle me demande alors, du haut de ces deux ans, « c’est quoi une femme ? ». La réponse la plus adéquate me semble alors « c’est une fille qui est devenu femme ». Dans sa tête, c’est pour le moment un jeu de ping pong, intéressée qu’elle est par la différence des sexes. Elle enchaîne : « et papa, c’est un garçon ? ». « Oui, papa c’était un garçon, comme Arsen (son frère) et il est devenu homme. Et ton petit frère aussi, il deviendra un homme plus tard ».

Cette petite séquence, au moment où je l’écris-là pour notre groupe de travail, me revient alors comme la question du « devenir ». Femme et homme, c’est un devenir, ce n’est pas inné et ce n’est pas acquis. Nous pourrions dire aussi, femme et homme, ce ne sont que des signifiants. Finalement tout cela, c’est une question de langage.

 

Ces réponses à ma fille, ma foi très simplistes, ont résonné inévitablement avec notre courageux groupe de travail, un peu empêtrées que nous sommes à définir ce qu’est une femme, ce qu’est le féminin. Ce que j’ai observé, souvent, et dans le cheminement psychanalytique qui a été le mien, c’est aussi la difficulté de le définir sans que ce soit une définition en défaut, ou en comparaison d’autre chose (bien souvent, du sexe masculin). C’est une tentation évidente, car il est plus facile de dire ce que n’est pas le féminin que de dire ce qu’il est. La difficulté est aussi dans cette vérité qui fait retour et que nous souhaitons toutes nous épargner : il n’y a aucun signifiant qui vienne dire ce qu’est le féminin, le féminité, la femme. Grâce à la psychanalyse, je peux dire que c’est une solution singulière à inventer. Et inventer, c’est toujours joyeux. Une fois le vertige du vide apprivoisé…

 

Je me pose alors la question : et moi, est-ce que je posais ce genre de question enfant ? Car même plus âgée, à l’âge où mes souvenirs me reviennent, je dois dire que la question de la féminité et du féminin n’était pas pour moi vraiment une question. De cette façon-là, aussi limpide, aussi consciente. J’étais préoccupée par mon corps et surtout, à un moment, la question du désir. Le mien, et celui de l’autre.

Pour ce qui est de mes très jeunes années, il ne me reste presque rien et s’il m’arrive parfois de souhaiter combler quelques lacunes, quelques détails de mon histoire, mes parents ne sont plus là pour y répondre. C’est perdu, ce savoir-là ne m’est plus accessible. Je dois faire avec ce qui me reste, de moi, à un âge plus avancé. De mon vécu. Et chemin faisant, je réalise que « être femme » est venu pour moi comme une conséquence, et non une quête.

 

Je me dis d’ailleurs que cette question s’est rappelée à moi par mes symptômes, adolescente, où susciter le regard, le désir d’un homme fut un changement radical et me fit sombrer dans quelques années de dures souffrances. La question n’était pas alors en terme de féminin, ou de féminité, c’était plutôt de l’ordre de « que suis-je pour le désir de l’autre ? » Cela appelait une réponse objectivante, ma position d‘objet phallique, qui, avant de concerner mon rapport aux hommes concernait mon rapport à ma mère. Il a fallu régler tout cela pour que puisse émerger, grâce à ma psychanalyse, un être femme et une position féminine.

La distinction que je fais est celle-ci :

  • être femme veut dire s’assumer en tant que femme, dans ce sexe-là, avec les conséquences que cela a quant au rapport au pénis, au phallus (la question de l’avoir mais aussi celle de l’être, car le femme peut se faire phallus, n’étant pas dupe qu’elle ne l’a pas) et quant au fait d’être objet de désir pour l’autre. Sans pour autant s’y aliéner. (voir ce que je vous partage ci-dessous quant à la distinction entre être objet de désir pour l’autre – s’y croire pour de vrai – et se faire semblant).
  • une position féminine ne renvoie pas au sexe biologique, c’est une position castrée, c’est vivre le manque comme un appui dans son existence, et cela concerne tous les domaines de la vie.

 

Il a fallu pour cela quitter la position de petite fille, la position d’objet phallique, et même la position d’identification à l’objet a. Cela a à voir avec la traversée du fantasme.

Mon symptôme, je l’ai d’ailleurs souvent entendu comme un appel à moi-même à sortir d’une position aliénante où je n’existais pas, pas encore. Ça a directement à voir avec le féminin puisque quitter une position, c’est une sacrée traversée, de castration.

 

Enfin, la question de la femme ne recouvre pas non plus la fonction de mère. Le féminin est du coté, pour moi, d’une position. La mère, c’est une fonction. C’est-à-dire que être mère, c’est dans un moment particulier, dans un contexte particulier, avec quelqu’un de particulier (son enfant).

 

De l’ensemble de mes lectures, c’est l’enseignement, précieux de Solange Faladé qui m’a le plus éclairée sur le féminin, celui que j’ai trouvé le mieux formulé aussi. C’est ce que je voulais vous partager pour cette fois-ci. (ce sont des notes de lectures et quelques bribes du texte que je viens d’écrire sur le masochisme).

 

« Alors que veut une femme ? Il faudrait d’abord pouvoir répondre à la question : "qu’est-ce qu’une femme ?". Elle est concernée elle aussi par la castration. Nul n’échappe. Lorsqu’elle s’est aperçue que l’homme n’a pas plus qu’elle le phallus, mais un pénis, que le clitoris n’est pas un pénis atrophié, si elle parvient à ce point d’assumer son sexe, lorsqu’elle a fait tout ce tour de la castration, elle ne se sent plus frustrée, mais peut se vivre comme de tout temps privée de cet objet qu’elle désire tant avoir. Ce qui fait qu’alors la question de l’enfant se pose autrement. Elle ne sera plus tentée de boucher sa béance avec l’enfant comme objet a. »[1]

 

La femme : aucun signifiant ne vient signifier la féminité. La femme aura à faire avec le fait qu’aucun signifiant ne peut signifier la féminité[2]. En réponse, elle essaie donc d’aller vers le désir d’un homme[3]. Construire sa position féminine revient à faire le tour de son rapport au phallus et à faire avec le fait qu’aucun signifiant ne peut signifier la féminité.

La féminité : « C’est premièrement faire avec le fait que l’objet, la fille ne l’a pas et que, d’autre part, le signifiant de la féminité, il n’y en a pas. »

 

« Pour clamer quelque chose du féminin, il faut accepter que la femme ne peut être que barrée. Or l’hystérique ne l’accepte pas, elle se met du coté de l’exception. Une femme qui n’est pas barrée, c’est celle qui refuse la fonction phallique, qui refuse ce que, de l’homme, elle pourrait recevoir ; et il y a différentes façons d’y parvenir. »[4]

 

Pour la femme, « pour ce qui est de cet objet, cet objet qui est ce reste avec quoi elle a affaire elle aussi à la fin d’une analyse, ce n’est pas un homme qui viendra à cette place et qui sera symptôme. (…) Pour une femme, c’est faire en sorte qu’elle puisse, non pas être, mais faire être cet objet de jouissance, ce plus de jouir parce que dans sa formule de la sexuation (à Lacan) il y a bien cet objet petit a qui est du côté de la femme. »[5]

 

« Bon, le a est du côté de la femme, mais ce qui est demandé à une femme, ce n’est pas de s’identifier à ce a – la femme n’a aucune raison d’être masochiste – c’est de faire en sorte de se prêter à [faire être le a], nous dit Lacan. (…) ce n’est pas de s’identifier, c’est de faire en sorte que puisse être le regard, la voix, le sein, l’excrément, tout ce qui est là hors corps, hors sens, et qui pourra être jouissance pour l’homme. C’est très important de bien saisir qu’à la fin d’une analyse tout ce qui a sens choit. Il y a ce silence, chez une femme comme chez un homme. Mais une femme, elle, doit faire en sorte que tout ce qui est du hors corps, tout ce qui peut représenter ces objets a, elle puisse les faire être. »[6]

 

« Et j’ai pris soin de mettre l’accent sur le fait que l’objet a qui est de son coté et qui doit soutenir le fantasme de l’homme, elle n’a pas à s’identifier à lui. Une femme n’est pas d’essence masochiste, pas du tout. Elle ne fait que se prêter à. Et ce que de mieux elle peut faire – et c’est possible si une analyse a pu être menée à cette fin où elle rencontre ce qui est cet objet – c’est faire en sorte que puissent être ces objets hors corps, c’est-à-dire qui n’ont pas de sens. »[7]

 

Faladé nous indique bien ici que la position masochiste est celle de s’identifier à l’objet alors que la position féminine, castrée, est celle de faire être. Il s’agit donc d’un faire, et non plus d’être. C’est une opération majeure, c’est une destitution subjective.

Cette position féminine a forcément à voir avec la position, agalmatique, du psychanalyste qui se fait semblant d’objet a.

 

Ce qui est intéressant de préciser pour nous aussi je pense c’est la spécificité de la position féminine pour l’être femme. Un premier début de réponse est le rapport au manque. Car même si l’être, homme ou femme, a horreur du manque, hommes et femmes n’y sont pas concernés de la même manière. L’homme, dupé par son organe, craint de le perdre (angoisse de castration). La femme, déjà au courant de ce manque, cherche à récupérer ce qui lui manque (complexe de castration). Cela a des conséquences en ce qui concerne les symptômes qui seront les leurs, et sur leur résolution.

 

[1] Faladé, S. (1991-93). Clinique des névroses, Paris, MJW Fédition, 2021, p. 292.

[2] Faladé, S. (1988-89). Le moi et la question du sujet, Paris, Economica, 2018, p. 193.

[3] p. 193.

[4] p. 204.

[5] Ibid., p. 337-338.

[6] Ibid., p. 338.

[7] Ibid., p. 342.

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