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Les effets de la cure

XXVIIè colloque du RPH – 15/11/2014

 

SUR LES EFFETS D’UNE CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE CONTEMPORAINE

 

QUAND LE DÉSIR EST LÀ, LE RESTE SUIT!

 

Pour ceux qui nous ont fait l'honneur d'être présents à notre dernier colloque, nous entamions un nouveau cycle de trois colloques, que nous avons nommé « une clinique psychanalytique contemporaine », et nous avions discuté de la technique psychanalytique telle que les instructions freudo-lacaniennes nous l’ont transmise. Aujourd’hui nous poursuivons donc avec un thème qui me parait personnellement tout à fait fondamental à discuter et à transmettre, à savoir les effets de la cure psychanalytique, et qui s'inscrit dans une volonté, au RPH, de défendre notre clinique et par là même de défendre la psychanalyse. La clinique, ceux qui suivent régulièrement nos activités le savent, est au coeur de notre discours, et aujourd’hui nous en faisons même un colloque à part entière, pour vous parler des effets de la cure. Et le titre de mon intervention, j’espère pouvoir le retranscrire aujourd’hui à travers mon propos, renvoie selon moi à ce qui peut être attendu d’une psychanalyse, à savoir du désir, du désir en tant que c’est cela qui se trouve dans la cure psychanalytique, puisque celle-ci introduit la castration. Et ce rapport nouveau au désir et à la castration, c’est cela qui transforme l’individu, j’y reviendrai tout à l’heure.

 

En préparant cette intervention, je me suis souvenue d’une parole de l’acteur Guillaume Gallienne lors de son passage au JT de Fr 2, en début d’année, pour la promotion de son film “Les garçons et Guillaume à table”, je l’ai entendu dire au JT à 20H30, heure de grande écoute donc! que la psychanalyse lui avait sauvé la vie! J’ai pensé merci et bravo car les plaidoyers pour la psychanalyse dans l’opinion publique sont tout de même assez rares, et même parmi la communauté psychanalytique qui de tout temps n’a jamais su défendre la beauté de son travail et de la discipline. Alors il ne s’agit pas non plus de dire que la psychanalyse est merveilleuse et qu’elle fait des miracles, ce n’est pas mon propos. Mon propos aujourd’hui est de tenter de vous parler de la clinique et de ce que je peux y voir comme processus subjectifs à l’oeuvre dans le déroulement d’une cure psychanalytique, ma clinique étant éclairée par ma formation théorique freudo-lacanienne et les théorisations du RPH qui s’en inspirent et les poursuivent aujourd’hui, en 2014. C’est ainsi que cette question du désir et de sa découverte dans la cure est irrémédiablement reliée à d’autres notions majeures qui sont celles de la castration, du symptôme, de la résistance du surmoi mais aussi et surtout de la jouissance, et c’est de ces notions là que j’aimerai discuter avec vous aujourd’hui.

 

Mais commençons par le début. Pourquoi quelqu’un vient à nous pour entamer une cure psychanalytique ? Généralement parce qu’il souffre, parce que quelque chose ne tourne pas rond, avec lui-même ou avec les autres. Eh bien ce quelque chose qui ne va pas, ça porte un nom, c’est un symptôme et ce symptôme se présente sous la forme d’une énigme pour celui qui souffre, c’est-à-dire quelque chose comme « je ne peux pas m’empêcher de » ou encore « c’est plus fort que moi ».

 

La cure intervient en effet à partir d’une position de non savoir, de non savoir sur soi, et ce que nous a appris la psychanalyse et bien évidemment Freud, c’est que ce symptôme, il a quelque chose à dire sur ce que l’être ne sait pas, et même il veut dire quelque chose, à condition de le parler. Venir entendre ce que le symptôme a de précieux à dire, c’est venir entendre des choses qui n’avaient jamais encore été dites, des choses qui touchent au plus intime de l’être. Le génie de Freud a été, entre autres, de découvrir que le symptôme psychique est une formation de compromis entre deux désirs qui s’opposent. Il contient donc, de façon voilée, un désir inconscient qui pousse pour être entendu et même, ce symptôme, il peut s’avérer être une forme de message adressé à un Autre. Et ce message, le sujet souffrant n’en sait encore rien, et c’est parce qu’il n’en sait rien qu’il souffre. L’efficacité de la cure dépend en partie du déchiffrage de ce message que porte le symptôme et comme disait Lacan, « que le sujet découvre progressivement à quel Autre il s'adresse véritablement[1] ». Ainsi le symptôme est une entité langagière, il est fait de mot et de libido, et il contient une vérité bâillonnée. C’est bien de cela qu’il s’agit en effet, les êtres parlants font des symptômes car ils sont malades d’une vérité qui n’est pas dite et encore moins assumée. Et ce symptôme, et la souffrance qui l’accompagne, pourront passer leur chemin, une fois que la vérité du sujet aura été dévoilée, à savoir, ce sujet, ce qu’il a été, ce qu’il est, et ce qu’il désire vraiment. Dans son séminaire « L’acte psychanalytique », Lacan dit que le symptôme, « c’est ce nœud du réel où est la vérité du sujet[2] ». Cette vérité, elle ne se dévoile qu’à être dite, et dite par surprise, grâce aux associations libres du patient qui déroule une chaîne signifiante. J’insiste sur ce terme de surprise car je crois vraiment qu’une psychanalyse agit par des effets de surprise, ce qui rejoint cette notion de vérité car c’est la vérité qui surgit par surprise et il me semble que c’est vraiment le cœur de notre affaire quand nous parlons des effets de la cure. Ces effets, quels qu’ils soient, sont possibles à partir d’un effet de vérité, qui vient donc par surprise, dans le sens qu’elle saisit celui qui parle, s’il a bien voulu accepter de céder sur ses résistances et parler librement ses pensées. La vérité ne peut surgir qu’à cette condition que l’être lâche de son ego, de sa volonté de maitrise et accepte de laisser parler le grand Autre dans lequel il va puiser pour dire, tant bien que mal, sur lui-même. J’ai trouvé tout à fait grandiose la distinction que fait Lacan à ce sujet entre savoir et vérité, dans le séminaire XV « l’Acte psychanalytique ». Il nous dit que le savoir est toujours de l’ordre de l’imaginaire contrairement à la vérité qui surgit du grand Autre. Ainsi, le psychanalysant vient au cabinet par un désir de savoir, ce désir de savoir est nécessaire pour le faire venir à sa séance disons, même si c’est un leurre, de même que le sujet supposé savoir d’ailleurs est aussi un leurre, mais enfin c’est nécessaire pour que le patient soit au rendez-vous et finalement c’est la vérité qu’il trouve, par surprise, toujours par surprise. La cure avance à mesure que la chaine signifiante se déroule et dévoile des vérités qui ne voulaient pas être dites ou entendues, des vérités refoulées, dont l’être ne voulait rien savoir et que, par transfert, il accepte de dire.

 

La cure navigue entre le symbolique et l’imaginaire et à mesure qu’il dit, qu’il s’inscrit dans le symbolique, l’être perd de l’imaginaire. Il y a une perte d’imaginaire dans la cure et c’est aussi pour cela que ces vérités sont bonnes à dire, car à les dire, la parole défait et permet au passé de passer en réintroduisant la concordance des temps. Afin que ce passé ne fasse plus nœud dans le symptôme. Ce qui fait nœud dans le symptôme, c’est ce qui n’est pas supporté du symbolique, notamment la castration. Tout le travail du clinicien est de tirer le patient vers le symbolique, pour qu’il se déprenne de l’imaginaire, du maternel, de l’infantile. Et c’est là toute la difficulté de l’affaire, car le patient, lui, ne veut rien avoir à faire avec ce savoir en lui. Il n’en veut rien avoir à faire de son désir qu’il maltraite, car il lui est insupportable, pour le moment. Ici je pense à un patient que je reçois qui parle sa haine envers son désir : Il dit « Le rapport à moi même, c’est ça que je fuis. Je me suis créé un mode de vie qui me permet de ne pas être face à moi-même, de ne pas construire, ne pas me demander qu’est ce que je veux. Ici d’une certaine façon je viens me mettre face à moi-même. Je le recherche. Mais je le fuis en même temps. C’est fuir mes responsabilités ». Je crois qu’il est important de rappeler que l’effet de la cure ne se résume pas à une guérison quasi-magique du fait d’un souvenir retrouvé, ce qu’on appelle l’abréaction. J’assistais à un colloque sur la psychanalyse et le cinéma il n’y a pas longtemps et il était intéressant effectivement de remarquer que jusque dans les années 70, la psychanalyse au cinéma est ainsi représentée, le patient se remémore un souvenir et ainsi la guérison advient. On peut voir un exemple typique de cela dans le film d’Hitchcock « La maison du docteur Edwardes ». Ce fut l’hypothèse de Freud dans les balbutiements de la théorie mais cela est beaucoup trop simpliste nous le savons aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que nous avons affaire à quelque chose de bien plus compliqué qui se nomme la jouissance de la résistance du surmoi, ou encore les bénéfices secondaires de la maladie, et toutes les autres formes de résistances d’ailleurs, alimentée notamment par la pulsion de mort, qui compliquent quelque peu le parcours de la cure. En 1910,Freud précise que la guérison ne dépend pas du savoir que le malade acquérait sur ce qu'il a refoulé mais de la victoire sur les résistances à l’origine de cette ignorance. Il dit « ce n'est pas son savoir en soi qui est pathogène, mais le fait que ce non-savoir est fondé sur des résistances internes qui ont tout d'abord suscité le non-savoir et qui maintenant encore l'entretiennent. C'est dans le combat livré contre ces résistances que réside la tâche de la thérapie[3] ». Freud fait ici une avancée considérable quant à « la significativité du savoir[4] » et le mécanisme de la guérison en psychanalyse. Il dit : « le traitement ne mérite ce dernier nom [psychanalyse] que lorsque le transfert a utilisé son intensité pour le surmontement des résistances. Alors seulement être malade est devenu impossible, même si le transfert a été résolu à son tour, comme le veut la destination[5] ».

 

Il me paraît important de dire aussi qu’on ne suit pas une psychanalyse, comme on suit un traitement. On fait une psychanalyse car le psychanalysant est actif dans cette expérience subjective même s’il accepte, tant bien que mal, de se laisser aller à associer ses pensées sans censurer le moins possible, telle que le veut la règle fondamentale. Il lui faut bien du courage, nous le savons.

 

On ne suit pas une psychanalyse comme un traitement également parce que, pour reprendre l’idée de Mr Fernando de Amorim, la psychanalyse s’oppose à toute forme de clinique du phallus qui consiste à prendre des médicaments, pénétrer le corps, que ce soient par des bistouris, piqûres, perfusions et autres. Je ne suis pas en train de dire là que les médicaments sont une mauvaise chose, pas du tout, ils sont parfois nécessaires, mais je pense que seuls et sans parole, ils sont aussi efficaces que l’est un pansement et qu’ils entretiennent ce désir bâillonné qui fait souffrir. Ils consistent seulement à rajouter, à boucher, à combler et donc à gonfler encore plus l’imaginaire alors qu’au contraire la psychanalyse vise à ôter, à enlever, à dépouiller l’être. Ce dépouillement de l’imaginaire, c’est une conséquence, un effet de la cure psychanalytique. Freud évoquait déjà cela en 1905, dans son article « De la psychothérapie » où il dit que « la méthode analytique de psychothérapie est celle qui agit avec le plus de pénétration et qui a la plus large portée, celle qui permet d’atteindre la plus riche modification du malade[6] » et il ajoute : « la thérapie analytique n'a que faire d'appliquer, elle ne veut rien introduire de nouveau, mais veut enlever, retirer, et à cette fin elle se préoccupe de la genèse des symptômes morbides et du contexte psychique de l'idée pathogène qu'elle a pour but d'éliminer[7] ». Ce que nous apprend la psychanalyse, et ses effets, c’est que le symptôme, il persiste tant que cette vérité intime n’a pas pu se dire. Le discours psychanalytique, contrairement aux antidépresseurs qui éradiquent le symptôme, vise à dévoiler, à révéler. Et là où tous les autres discours sont impuissants à éclairer le sujet sur ce qu’il a de plus intime, la psychanalyse, elle, peut permettre la découverte de ce qui était muselé.

 

L’autre effet majeur de la cure réside en ceci qui est la modification d’un mode de jouissance et c’est à mon avis tout à fait crucial si l’on veut saisir quelque chose des effets de la cure voire même de la sortie de cure. Au fur et à mesure qu’opère la cure, il y a une certaine évolution, transformation, de ce qui est une jouissance que je dirai folle de la résistance du surmoi, qui pousse et que nous pouvons entendre chez les patients par « c’est plus fort que moi » à un plaisir raisonnable, produit par la castration du moi, introduite par la cure, qui reste un plaisir car il n’atteint pas le déplaisir comme c’est le cas lorsque c’est la résistance du surmoi qui jouit. Freud nous a appris dès le début que l’appareil psychique a affaire à un certain niveau d’excitation qui, s’il est trop important, devient déplaisir. Trop de plaisir devient déplaisir et c’est ce que nous voyons à l’oeuvre chez les patients qui souffrent. Ce trop de plaisir, qui n’en est pas, cette jouissance, est guidée par la résistance du surmoi, que Mr de Amorim a eu la finesse de mettre en lumière et de distinguer du surmoi, ce que n’avait pas fait Lacan, car en effet, c’est elle qui jouit, et non le surmoi, ce qui se traduit par des comportements pulsionnels d’auto-destruction, cette résistance du surmoi étant alimentée par la pulsion de mort.

 

Voici une illustration clinique de cette résistance du surmoi : David vient me rendre visite depuis quelques mois car il souffre de crises de boulimie qui le font souffrir. Au cours d’une séance, voici comme il parle de l’aliénation qu’il subit lorsque sa résistance du surmoi agit. Il dit : « je n’arrive pas à me contrôler. Je mange beaucoup. Je me réfugie dans quelque chose. C’est difficile de ne pas avoir une addiction. Comment vivre sans addiction ? C’est la quête du plaisir ! Mais comment gérer son envie ? Son désir ? C’est une forme de plaisir qu’on ne s’autorise pas. C’est de l’excès. Je crois que je perds du plaisir. C’est de l’addiction, pas du plaisir, parce que derrière le plaisir, c’est pas calme, il y a quelque chose qui trouble, quelque chose d’instable, quelque chose qui demande. Une tension. Il faut que je sache dire non. Ça demande un changement, ça ne peut venir que de moi ». Je lui demande d’associer sur cette tension qui demande. Il dit « c’est de la peur. Je demande du plaisir. Je me visualise satisfait, mais je refuse ce plaisir là. Avec la nourriture, c’est le corps finit par refuser la nourriture. Ça réveille quelque chose, et là le non est plus facile. Ça réveille quelque chose ? Parce que je touche la limite. Je continue jusqu’à ce que je n’en puisse plus, jusqu’à ce que j’aie mal. Jusqu’à la douleur. C’est une violence. Une autorité, que je n’ai pas sur moi-même ». Cette violence, c’est la résistance du surmoi à l’oeuvre. Et cette autorité qu’il n’a pas sur lui-même, c’est ce refus de la castration. La limite ne peut être marquée qu’au moment où est atteinte la douleur physique. C’est le corps qui dit stop parce que, pour l’instant, il n’y a que lui pour dire stop, car le moi n’est pas traversé par la castration symbolique. L'action efficace de l'analyse repose sur la rencontre de l'être avec la castration. Je trouve que les exemples d’addiction sont tout à fait parlant pour illustrer cette résistance du surmoi à l’œuvre et ce refus de la castration, ce refus de la limite. Mais je crois que nous pouvons trouver cela chez chaque individu qui nous rend visite, cette aliénation à la résistance du surmoi, cette chose en soi plus forte que le reste qui pousse à la destruction et que l’être accepte de venir parler, de venir faire céder par la parole, par le transfert, par son désir de savoir et aussi par le désir de l’analyste qui parfois, doit s’accrocher à son fauteuil pour conduire la cure à bon port. Ce n’est pas de tout repos ! Mais, de cette position de clinicienne, que j’assume et qui m’honore, je dois avouer que voir le patient ou le psychanalysant grandir est une joie immense, c’est quelque chose d’absolument merveilleux à observer, comment certains patients parviennent à grandir, dans le sens de se mettre debout, de se déprendre de l’infantile, du maternel, du désir de l’Autre, de se déprendre aussi de cette résistance du surmoi qui aliène, de lâcher leur symptôme, d’assumer la castration, et tout ceci produisant un effet d’apaisement suffisamment précieux pour que le retour en arrière ne soit pas possible. Je pense à une psychanalysante qui vient depuis quelques années maintenant qui au début de sa cure avait beaucoup de difficultés à s’exprimer. Elle parlait peu, elle parlait très doucement, les séances étaient laborieuses. Elle a fait son chemin, elle est passée du fauteuil au divan et petit à petit, séance après séance, sa parole s’est libérée. C’est toujours un peu difficile parfois, il y a toujours des résistances qui font qu’elle coupe son discours, mais aujourd’hui c’est fluide. Elle parle plus fort, elle ose dire tout simplement. Un jour je lui ai fait la remarque en fin de séance, sur ce changement, elle m’a dit oui c’est vrai, elle avait l’air surprise et pourtant la séance suivante elle parlait des effets que sa parole pouvait en effet avoir sur son comportement, sur ses inhibitions qui s’estompaient peu à peu. Rien que ce changement dans sa façon de parler, ça me signifiait que la cure produisait son effet.

 

C’est un effet visible de sa parole, qui suppose un autre rapport à elle-même. Et d’ailleurs il n’y a pas que sa parole qui a changé. Son attitude, sa présence, elle est devenue plus féminine, elle se cache moins, elle me regarde plus souvent dans les yeux alors qu’avant jamais. C’est cela pour moi les effets de la cure, et cela peut se traduire par bien des effets encore dans le quotidien : changement dans les relations à l’autre, plus apaisées, prendre soin de soi, de son corps, accepter de compter avec l’autre, ne plus être mu par la haine ou la colère, ne plus se mettre en danger, ne plus coller son désir à celui de ses enfants, trouver un travail, gagner de l’argent, bref, mon temps imparti aujourd’hui ne suffirait pas pour dire toutes les modalités possibles d’effet de la cure. Je pourrai seulement dire que ces effets vont dans le sens de la vie, de la construction, et non plus vers la destruction qui est très chère, en général, à celui qui vient nous rencontrer pour la première fois. Ils vont dans le sens d’assumer et d’accepter d’être bien, cela peut paraître assez étrange à dire mais celui qui vient s’allonger régulièrement chez son psychanalyste doit savoir de quoi je parle ici, assumer d’être bien n’est pas facile pour tout le monde, loin de là. C’est assumer ce désir de se tirer vers le haut et ne plus entendre les sirènes de la résistance du surmoi qui tirent vers le bas. Mais ces sirènes là sont très fortes. Je pense à un patient qui m’a dit il y a peu : « C’est plus rassurant de dysfonctionner comme on connaît que fonctionner comme on ne connait pas ». J’ai trouvé cela très éclairant et c’est pour cela que certains, parfois même malgré des symptômes qui gâchent leur existence, font le choix de ne rien vouloir savoir. Et nous, cliniciens, qui comptons avec la psychanalyse, nous ne pouvons compter qu’avec ceux qui veulent savoir.

 

Les effets d’une psychanalyse ne sont possibles qu’à partir du moment où l’être accepte de payer le prix de sa castration, qui je crois au final, n’est pas si chère payée que ça, car la castration, c’est elle qui apaise, et qui transforme. Oui, je pense que l’expérience psychanalytique transforme, et c’est cela sa force ! Freud énoncera à plusieurs reprises que la psychanalyse ne veut rien prouver ni annuler, mais « changer quelque chose[8] ». Il s'agit donc, dans une psychanalyse, de changement, et Freud défendra tout au long de son œuvre l’idée que la psychanalyse n'a pas pour finalité première de guérir les symptômes mais agit bien plus profondément. Lacan reprendra cette idée lorsqu’en 1957 il prononcera cette fameuse formule que la guérison a toujours un « caractère de bienfait de surcroît[9]» mais qu'elle n'est pas le but premier de l'analyse. La psychanalyse ne se résume pas à un processus thérapeutique. Lacan dira même qu'« il s'agit au contraire d'apprendre au sujet à nommer, à articuler, à faire passer à l'existence, ce désir qui littéralement, est en deçà de l'existence, et pour cela insiste. Si le désir n'ose dire son nom, c'est que son nom, le sujet ne l'a pas encore fait surgir. Que le sujet en vienne à reconnaître et à nommer son désir, voilà quelle est l'action efficace de l'analyse[10]». Ainsi, la cure amène la disparition des symptômes certes, le sujet s’en allège disons, mais cela est la conséquence du processus psychanalytique qui a produit ses effets et non un but en soi ! Sous le symptôme, il y a le désir !

 

Et tout de même, s’alléger de ses symptômes suppose la libération d’une certaine quantité de libido autrefois prisonnière et c’est en cela aussi que la psychanalyse offre la capacité d’aimer, de travailler, et de jouir de la vie tout simplement, comme le disait Freud, qui disait aussi que la psychanalyse a été crée au contact de malades inaptes à l’existence et, je cite « c'est son triomphe que d'avoir rendu durablement aptes à l’existence un nombre satisfaisant d'entre eux[11] ».

 

Je dirai pour conclure que la tâche psychanalytique réside dans le fait que ce qui insiste puisse être entendu, ce qui insiste c’est-à-dire cette vérité qui n’est pas dite et qui vient d’ailleurs. D’où ? de l’inconscient et comme a dit Lacan, « qu'il y ait de l'inconscient veut dire qu'il y a du savoir sans sujet[12] », c’est ce savoir là que l’être parlant qui souffre vient chercher auprès de nous et c’est bien davantage qu’il trouvera. La cure psychanalytique consiste à sortir de l’infantile et à troquer une modalité de jouissance pour une autre, moins coûteuse. J’ai coutume de penser que la psychanalyse est un vrai voyage, une aventure, une expérience subjective qui suppose quelques tempêtes et quelques risques. La psychanalyse visite la face cachée de l’iceberg du moi conscient en découvrant, au fur et à mesure des séances, la logique spécifique des processus inconscients. C’est une rencontre avec ce qui était à la fois le plus étranger en soi et le plus singulier. Elle donne la possibilité de ne plus être passif, de ne plus subir sa vie mais d’en être acteur, et avec joie! Elle permet d’en savoir un peu plus sur son désir et d’avancer avec lui main dans la main, si l’être accepte d’en faire sa boussole et de lui laisser les rennes de son existence.



[1] Lacan J. Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, livre II, Paris, Ed. Du Seuil, 1978, p. 288.

[2] Lacan, J. L’acte psychanalytique, Editions de l’Association lacanienne Internationale, p. 301.

[3] Freud, S. (1910), « De la psychanalyse sauvage », in La technique psychanalytique, trad. A. Berman, PUF, Paris, 1972, p. 45.

[4]Freud, S. (1913), « Sur l'engagement du traitement », in La technique psychanalytique, trad. A. Berman, PUF,        Paris, 1972, p. 112.

[5] Ibid. p. 114.

[6] Freud, S. (1905), « De la psychothérapie », in La technique psychanalytique, trad. A. Berman, PUF, Paris, 1972, p. 16.

[7] Ibid., p. 17.

[8] Freud, S. (1909), « Analyse de la phobie d'un garçon de cinq ans », in Œuvres complètes vol. IX, PUF, Paris, 1998, p. 92.

[9] Lacan J., « Le rendez-vous chez le psychanalyste », La psychanalyse, 1958, n° 4, pp. 305-314.

[10] Lacan J., Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, livre II, Paris, Ed. Du Seuil, 1978, p. 267.

[11]Freud, S. (1905), « De la psychothérapie », in La technique psychanalytique, trad. A. Berman, PUF, Paris, 1972,  p. 19.

[12] Lacan, J. L’acte psychanalytique, Editions de l’Association lacanienne Internationale, p. 310.

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