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Intervention au XXXIVè colloque du RPH - Julie Billouin - Extrait

Extrait - Julie Billouin

"Papa où t'es ?"

« Papa où t’es ? », voilà ce que m’a inspiré cette journée de travail consacrée au second temps de l’Œdipe. Je souhaiterai vous proposer une lecture théorique et clinique de ce moment-là, crucial de l’Œdipe, où l’heure de fin a sonné quant à la dyade mère-enfant, à partir des enseignements de Freud et Lacan et de quelques situations cliniques que ce colloque m’a donné à penser. Je cite d’ores et déjà Lacan pour introduire mon propos : « Il n’y a pas de question d’Œdipe s’il n’y a pas de père, et inversement, parler d’Œdipe, c’est introduire comme essentielle la fonction du Père. »[1]

Jacques Lacan, grâce à son retour à Freud, nous a ouvert des voies possibles et nouvelles pour sortir des impasses théoriques et cliniques. Il conteste l’interprétation courante d’un œdipe comme phase de la sexualité infantile, vers l’âge de 3-4 ans, et voyait en lui une structure à l’œuvre dès la naissance, transmise par le biais du langage, dans lequel l’être est immergé à son arrivée au monde. Sa théorie du désir revisite les complexes de castration et d’Œdipe de telle sorte que ce n’est plus le pénis, l’organe, qui est en jeu, mais le phallus en tant que signifiant. Cela décale foncièrement la vision freudienne qui jusque-là considérait l’objet (sein ou pénis) comme bien réel et dans laquelle la castration relève d’un scénario imaginaire, d’un fantasme, qui concerne la relation de l’être à l’organe phallique en tant qu’il s’imagine la possibilité de le perdre ou de l’avoir. C’est ce fantasme de castration qui, selon Freud, permettrait pour le garçon de sortir de l’Œdipe et pour la fille d’y entrer.

Grâce à Lacan et à sa distinction éclairante des trois registres Imaginaire, Symbolique et Réel, la castration retrouve ses lettres de noblesse en tant qu’elle est, avant toute chose, symbolique. Elle concerne l’être parlant car il est divisé par le langage et fondamentalement castré par l’ordre symbolique du fait de sa dépendance au signifiant.

Reprenant la distinction déjà introduite par Freud en 1923 entre pénis et phallus, Lacan affine la question du phallus et pose de façon plus consistante qu’il n’est ni un fantasme, ni un objet, ni un organe. Il est un signifiant, ce qui lui confère sa valeur organisatrice de la différence et du manque. Dans l’équation œdipienne freudienne Père-Mère-Enfant, Lacan ajoute donc un quatrième terme, le phallus. La fonction paternelle ne s’articule pas à la réalité du pénis mais au phallus, signifiant du manque ou encore, signifiant du désir de l’Autre, ce que souligne Joël Dor, dans son Introduction à la lecture de Jacques Lacan, je cite :

« Cette référence au phallus n’est pas la castration via le pénis, mais la référence au père, soit la référence à une fonction qui médiatise la relation de l’enfant à la mère et de la mère à l’enfant. »[2]

Le père est agent de la castration, castration qui n’est plus cette punition à craindre du père en termes de représailles, comme nous le présente Freud, mais une opération souhaitable et nécessaire à l’ordonnancement psychique de chacun puisqu’elle marque une scission entre l’enfant et la mère, ou plutôt, le désir de la mère. Cette opération psychique est ce qui permet à l’être de vivre une vie sur une voie désirante, grâce à un désir qui n’est plus polarisé par l’objet du désir de la mère. La fonction paternelle soutient la loi de l’interdit de l’inceste qui permettra le renoncement aux désirs œdipiens imaginaires et à l’identification au phallus maternel. Comme nous l’avions exposé lors du premier colloque dédié au temps 1 de l’Œdipe, l’immaturité qui caractérise l’être humain à la naissance induit une expérience vécue avec la mère qui prend, chez l’infans, la signification d’une relation à la toute-puissance dont il dépend pour sa survie. L’indistinction fusionnelle de l’enfant à la mère résulte du fait que l’enfant se constitue comme le seul objet qui peut combler son désir, à elle, et le père est, à ce moment-là encore, hors-circuit. Ce moment d’identification phallique, strictement imaginaire, élude la médiation de la castration et, de ce fait, la convoque d’autant mieux. C’est la dimension paternelle qui va introduire l’enfant au registre de la Loi symbolique. Le père, symbolique, qui peut être incarné par le père réel, c’est souhaitable d’ailleurs, agira à la fois au niveau de la frustration pour l’enfant, et de la privation, pour la mère.

Le père frustre l’enfant à partir du moment où il lui interdit l’accès à la mère, où il se pose comme ayant-droit de la mère. Il empêche ainsi l’enfant de l’avoir toute à lui. La mère se révèlera alors comme interdite, barrée, en tant qu’objet de jouissance.

Mais là où Lacan insiste davantage et ce sur quoi mon propos s’attardera aujourd’hui c’est l’importance de la fonction du père comme garant de l’interdit de l’inceste, pas seulement concernant la relation de l’enfant à la mère, mais aussi et surtout de la mère à l’enfant. Le père doit assurer son rôle d’agent de castration pour la mère également, en tant qu’il la prive de la possibilité d’être comblée par le seul et unique objet de désir qu’est son enfant. Autrement dit, il s’agit que le père se fasse préférer par la mère. C’est là l’enjeu majeur de ce deuxième temps de l’Œdipe, de cette fonction essentielle du père : faire intrusion dans la dyade mère-enfant et polariser le désir de la mère ailleurs que vers l’enfant.

Il faudra que la mère reconnaisse la Loi du père comme celle qui médiatise son propre désir pour que puisse être régulé le désir qu’elle a d’un objet, qui n’est plus l’enfant, mais que le père, en revanche, est supposé avoir. Ainsi pourra opérer, pour l’enfant, la fonction paternelle, processus qui trouve sa structure dans une métaphore où vient se substituer le signifiant du Nom-du-Père au signifiant du désir de la mère qui s’en trouve alors refoulé. Si cette opération ne se fait pas, les conséquences en seront inévitables, au niveau de la structure psychique, ou au niveau des symptômes. La métaphore paternelle est le point culminant résolutoire de la situation œdipienne, véritable structuration du sujet.

Je me souviens alors d’un collègue, dans mon groupe d’étude des œuvres de Lacan, qui reprit cette formule de la métaphore paternelle comme substitution du signifiant du Nom-du-père au signifiant du désir de la mère et il me dit, mais concrètement ça veut dire quoi ?

La théorie lacanienne insiste sur la nécessité, pour le père, de dégager l’enfant de sa relation avec la mère primitive. Pour Lacan, c’est le désir de la mère qui modèle le désir de l’enfant. C’est son complexe de castration à elle, son envie du pénis, qui déterminent la place que l’enfant va occuper auprès d’elle. L’enfant va s’identifier au phallus manquant de la mère, il veut être le phallus, soit ce qui manque à la mère pour la combler. Le père doit être pressenti comme un objet rival auprès du désir de la mère car cela produit un déplacement significatif de l’objet phallique. En découvrant que le désir de la mère est orienté vers le père, le désir de l’enfant pour la mère ne peut plus, par conséquent, éviter de se heurter à la loi du désir de l’autre, le père. Son propre désir est aussi dépendant d’un objet que le père est supposé avoir ou pas. C’est ce nouveau déplacement de l’objet phallique qui est la clef du déclin de l’Œdipe et qui permettra que l’enfant se dégage du positionnement aliénant d’être le phallus pour la mère. C’est ainsi que le père est le garant de l’entrée de l’être dans la voie du symbolique et du désir, à condition qu’il soit soutenu par la mère dans cette opération. Pour que le désir de l’enfant soit référé et médiatisé par l’unique consistance de ce signifiant du père symbolique qu’est le Nom-du-Père, il est indispensable que ce signifiant soit dans le discours de la mère de telle sorte que l’enfant puisse entendre que le désir de la mère s’y trouve lui-même référé.

Je cite Lacan :

« Ce qui est essentiel, c’est que la mère fonde le père, comme médiateur de ce qui est au-delà de sa loi à elle et de son caprice, à savoir purement et simplement, la loi comme telle. » [3]

Le problème, c’est quand le père est dégradé par la mère ou par lui-même et que s’identifier à lui équivaut à se dégrader comme lui. Ou bien encore lorsque le père veut faire la démonstration, dans la réalité, qu’il a le phallus. Le phallus, c’est l’enfant lui-même qui doit le supposer au père, à partir de ce qu’il pressent du désir de l’Autre (la mère). Sinon, c’est voué à l’échec car cela invaliderait le repérage du désir de la mère par l’enfant, et donc, du manque, qui laisserait l’enfant captif de l’imaginaire de la toute-puissance phallique.

La fonction paternelle ne renvoie par au réel incarné par un être mais à une entité, un opérateur symbolique qui est avant tout référence à la loi de prohibition de l’inceste. Aucun père, dans la réalité, n’est détenteur, et a fortiori, fondateur, de la fonction symbolique qu’il représente. Il en est le vecteur. Autrement dit, le père n’est pas la loi, mais il s’y autorise. Au terme de la substitution métaphorique, le père est désormais référé au phallus par l’enfant en tant qu’objet du désir de la mère. C’est seulement dans cette mesure que le Père réel peut être investi comme Père symbolique, par la médiation du Père imaginaire qui renvoie lui à l’entité fantasmatique, à l’imago.

Pour rejoindre la question pertinente de mon collègue, habitué qu’il est à entendre largement parler de clinique au RPH, je le rejoins et je me pose alors la question à mon tour. Tout ceci, ça veut dire quoi cliniquement parlant ? Dans le vrai du vécu de ceux et celles qui viennent nous rendre visite ? Que nous apprennent-ils de leur souffrance et comment est-elle justement articulée à la fonction paternelle ?

Je le dirai très clairement : à partir du moment où l’être souffre, à partir du moment où il y a symptôme, c’est qu’il manque du père. Si mon propos a été clair, pas du père en tant que père réellement incarné par un être, même si c’est lié. Il manque du père en terme de fonction symbolique, en terme de castration, en terme d’opération de dégagement de l’enfant en relation au désir de la mère.

(...)

Autre exemple clinique. Une mère vient me rendre visite sur conseil de son médecin généraliste. Elle est à bout, épuisée. Elle a donné naissance à son 2e enfant il y a 7 mois, elle continue d’allaiter. L’ainée a 3 ans. Cette femme qui avait un poste de direction a tout arrêté quelques mois avant la naissance du second, cumulant congés maternité puis congés maladie et n’a toujours pas repris. Elle gère l’intendance et les différentes affaires du couple, en attendant de reprendre le travail. Sa souffrance ? Elle est épuisée et le couple va mal. « On s’aime beaucoup me dit-elle, mais on n’arrive plus à gérer ». Quelques séances ont suffit pour mettre en lumière la difficulté de cette femme à se séparer de ses enfants et surtout, de la position de mère. Elle qui se plaint de ne pas avoir de temps pour elle, je lui rappelle alors que son travail est important à considérer en tant que femme et qu’elle n’a pas à se réduire à cette fonction de mère, puisque cela l’épuise. J’insisterai sur le terme de fonction. Une mère est avant tout une femme, puis, pour son enfant, une mère. Pour son enfant, pas dans l’absolu. Où est la femme ici ? Le couple n’a plus d’intimité. Elle me dit d’ailleurs : « c’est vrai, pour la naissance de mon premier enfant, je n’étais plus qu’une mère ». Aussi, de la même façon que dans l’exemple clinique précédent, quelque chose dans son discours vient toquer à mon oreille : « arrêt maladie ». Elle évoque ses arrêts maladie qu’elle renouvelle, grâce au médecin complaisant évidemment. Je dis alors : « arrêt maladie ? Mais vous n’êtes pas malade ? ». Aie, regard foudroyant. Je ne peux pas, ici non plus, rester en silence face à ce qui ne peut s’appeler autrement que la jouissance maternelle. Je m’explique : cette femme est visiblement épuisée mais ne veut rien lâcher de ce qui l’épuise. Elle me justifie son arrêt maladie en me disant qu’elle n’est pas motivée pour retourner à son travail, ça ne lui plait plus, qu’elle allaite toujours son fils et qu’il n’est pas inscrit à la crèche. Mais il n’est pas inscrit à la crèche parce qu’elle ne souhaite pas s’en séparer, « si tôt », me dit-elle. Mais depuis quand un arrêt maladie, où l’intégralité du salaire est versé, vient-il se justifier du fait que la mère n’a pas fait les démarches pour inscrire son enfant à la crèche et désire s’en occuper à plein temps ? Il y a un petit abus quelque part, je dirai même que ça jouit carrément dans cette histoire, et ça souffre, ça souffre puisqu’elle culpabilise. De ne pas retourner travailler, de ne pas mettre en place son nouveau projet professionnel, de ne pas donner un coup de main à son mari pour assurer de son coté sa charge de travail, donc elle se démène ailleurs et s’épuise. Comme elle n’assume pas, en démissionnant par exemple, elle renforce sa résistance du surmoi qui la tyrannise. Face à cette jouissance, je me dis alors, mais où est le père là-dedans ? « Papa où t’es », en voilà un autre exemple clinique. Peut-il l’aider ? Peut-il œuvrer pour qu’elle se sépare des ses enfants et ne soit pas noyée dans son rôle de mère ?

La patiente me relate alors une conversation avec son mari. Ses séances donnent lieu à des discussions entre eux pour trouver une solution. C’est alors que le mari propose à cette femme d’aller chercher les enfants à 16h, qu’il s’organisera (il est à son compte) afin qu’elle puisse reprendre le travail. Réponse de la patiente, sans appel : « ça m’étonnerait que tu y arrives ». Je suis estomaquée, et en même temps ça confirme ce que je lui avais déjà signalé, à savoir qu’elle y est clairement pour quelque chose dans ce qui pourtant la fait souffrir. Je reprends : « votre mari se propose de vous aider, il vous tend la main, et votre réponse est de lui dire qu’il ne va pas y arriver ?!! », bref de l’écarter clairement et simplement ? A partir de ce moment là, elle a pu reconnaître sa difficulté à laisser entrer le père dans l’équation. « Je préfère faire à sa place car il ne fait pas aussi bien que je ferai moi ». « Je préfère que les enfants ne le voient pas s’il n’est pas disponible pour eux quand il est là ». Ce sur quoi je réponds: « laissez-le faire. Il fera moins bien que vous, peut-être, mais laissez-le faire. Aidez le, apprenez-le à être père puisque vous l’avez choisi pour ». En écrivant ces lignes pour mon intervention d‘aujourd’hui, me sont alors revenues en tête les paroles de cette chanson « Papa ou t’es ? » que j’avais choisi comme titre :

« Tout le monde sait comment on fait les bébés mais personne sait comment on fait les papas »

Alors qu’est ce qui fait un père ? Ou plutôt, qui est-ce qui fait un père ? Mon avis, ma lecture clinique est  simple : c’est la mère qui fait un père. Ce qui fait une mère, c’est son enfant. Ce qui fait un père, c’est son enfant aussi évidemment mais ça ne suffit pas. Il faut que la mère puisse introduire, reconnaitre, et si possible, désirer cet homme avec qui elle a choisi de concevoir cet enfant. Dolto[1] nous a appris ceci de fondamental qu’un père et une mère n’existent pas dans l’absolu, père et mère n’existent que l’un par rapport à l‘autre.

(...)

Voilà comment j’ai souhaité illustré mon propos d’aujourd’hui à travers ce que m’apprend ceux et celles qui viennent me rendre visite. La théorie lacanienne du désir extrait ce qu’il y a d’essentiel dans le complexe d’Œdipe, à savoir la fonction phallique et la fonction paternelle. Elle insiste radicalement sur la nécessité de la castration pour l’avènement de la vie psychique et nous offre une autre lecture du symptôme et de l’angoisse puisque celle-ci n’est pas une trop grande distance avec l’objet primordial du désir, la mère, mais une trop grande accessibilité. C’est alors la fonction paternelle qui va opérer une distance et permettre un rapport plus apaisé à son désir. Alors, « Papa ou t’es ? » renvoie selon moi à la nécessité de la castration dont vient nous faire part chaque malade, patient ou psychanalysant. Un appel à cette fonction paternelle qui, avant de savoir se faire par la parole, se traduit en symptôme et donc, en souffrance. La fonction paternelle doit être à entendue comme une fonction symbolique indispensable à une bonne circulation du désir pour qu’il ne soit pas contaminé par de la culpabilité et des pulsions œdipiennes insuffisamment castrées. Pouvoir mener sa vie sur une voie désirante, comment y parvenir si cette fonction paternelle n’a pas été au rendez-vous ? Et comment la psychanalyse permet-elle à celui qui vient s’y atteler d’ouvrir une voie, de vivre une vie, qui soit sous les auspices du désir et non plus du symptôme ? Vous savez quoi ? Je crois bien que c’est le thème du prochain colloque, qui viendra clore notre cycle d’étude sur l’Œdipe. Alors à très bientôt !

 

[1]Dolto, F. Séminaire de psychanalyse d’enfants 1, Editions du Seuil, Essais, Paris, 1985.

 (1] Lacan, J. Le séminaire, livre V. Les formations de l’inconscient, Paris, Ed. Du Seuil, 1998, p. 166.

[2] Dor, J. Introduction à la lecture de Jacques Lacan. L’inconscient structuré comme un langage, Editions Denoël, 1985, p. 91.

[3] Lacan, J., Le séminaire, livre V. Les formations de l’inconscient, Paris, Ed. Du Seuil, 1998, p. 191.

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